Qu’est-ce que lutter ? Critique du militantisme haïtien au temps du désarroi
Essai de repenser
l’expérience politique haïtienne
La vérité est une lampe tèt gridap.
Quoiqu'on fasse elle ne peut
pas être sous le boisseau.
À le mettre sous le boisseau,
On court le risque évident
d'incendie.
J'avoue – surtout à ceux-là qui se vantent d'être «
militants », d'avoir une lutte en vue, une cause à défendre pour l'institutionnalisation
d'une praxis émancipatoire – que je ne suis pas un « militant », du moins,
je ne suis pas le militant d'une cause qui serait elle-même l'effet d'une
cause plus profonde. Toutes les luttes menées jusque-là ainsi que les enjeux
pratiques qu'elles ont ouverts ont pris forme dans le paradigme colonial de la
couleur de la peau, de l'accès à la propriété, de la domination par la finance
et de l'appauvrissement au sein de l'État (structure fondamentale de
colonialité). En effet, la militance, telle que je l'ai découverte depuis 1986,
quelques temps après la chute salutaire de la dictature, ne m'a jamais fait
vibrer, même lorsque j'ai admiré le courage, l'audace de certains, ceux-là qui se
sont donné parfois sincèrement, souvent naïvement, à la cause[i].
Aujourd’hui encore, j'éprouve très peu d'affection pour le style de militance
qui s'arc-boute à un folklorisme béat qui, selon moi, est toujours pris dans
les rets d'un sensationnalisme de naïfs ou de bluffeurs, qui se bluffent
croyant bluffer tout autour d'eux. Ce militantisme sensationnaliste adopte la
contestation -à coup de slogan- comme forme discursive qui se veut par
enchantement transformation du monde. Un relent magique habite cette posture :
les militants sont aussi de grands contemplateurs du salut qui soit venir des
yankees. Tous attendent comme ceux qui sont au pouvoir le dénouement de la
politique américaine pour se faire une « idée » précise de la « situation haïtienne
». Cette posture traduit bien la formule consacrée de la relation américano-haïtienne
: la toux américaine résonne en grippe haïtienne. Aucune militance -que ce soit
de la militance des oppositions ou de la militance des défenseurs du pouvoir, ne
fait preuve d'imagination, de créativité pertinente et constructive en vue de
tester de nouvelles hypothèses, de tracer de nouvelles voies vers la libération
véritable. Ils sont tous là à remâcher les vieilles théories de la lutte des
classes, de l'accumulation et de la reproduction du système d'exploitation, de
la domination des dominés par les dominants, du renversement des rapports de
pouvoir, etc., alors qu'ils sont incapables, dans leurs vies quotidiennes, de
se défaire des réflexes du dispositif capitaliste. Ils convoitent tous en
dernière instance la nécessité de prendre le pouvoir, d'occuper les appareils
de l'État. En attendant d'accéder au pouvoir pour tout changer, faisons comme
tous les autres : enrichissons-nous au moyen de cause dans laquelle nous ne croyons
pas. Aucun, par ailleurs, ne s'est demandé, dans une société telle que la
société haïtienne, veut-on s'embarrasser de l'État (instrument, dit-on, de la
bourgeoisie pour consolider ses privilèges et les renforcer et augmenter), de
cette réalité qui rappelle les exigences colonialistes d'exploitation, de
répression, de prédation, d'enfermement ?
Pourquoi cette indifférence ? À cette question, je
réponds, pour la simple et bonne raison que les luttes sont déjà menées, les
dés ont été déjà pipés : on utilise les mêmes arguments de ceux-là qu'on
prétendait combattre. Ceux-là, dans la courte histoire des mouvements sociaux
de 86 à aujourd'hui [je pourrais remonter plus loin en me servant des constats
de l’historien Michel Hector, qui remarque que les mouvements populaires ou
paysans sont souvent trahis par les leaders (les militants)], qui
s'enorgueillissaient d'être des militants et ne savaient même pas prendre soin
de leurs misères partagées avec des frères d’armes, particulièrement avec les
filles du quartier en lesquelles ils voyaient la jouissance facile sans se
demander si, elles, elles voulaient de ces jouissances intempestives de corps
souvent violentés. Bref, nombre d'entre ces militants extorquent, sous forme de
dettes, les marchandes de misère et les filles de ces marchandes -comme certains
extorquent l'État haïtien à coup d'expertises ou de consultations ou se font
responsables d'organisations non gouvernementales ou d’organisations
internationales distribuant aux copains des rentes au nom de l'émancipation,
mais au détriment de cet État, que l'on sait, affaibli, « failli » par ces ONGs
ou OIs. J'ai toujours eu le sentiment que ces militants ont raté leurs cibles,
et qu'ils se sont pris à eux-mêmes, à leur « classe » (si je dois rester
dans leur réseau lexical), en s'en prenant aux filles et aux marchandes de leur
propre « classe ».
Cela dit, voilà ce que
je tiens à exprimer aujourd'hui de manière relativement explicite : nombre de
ceux-là qui prétendent lutter pour la cause du « peuple » n'ont jamais eu le
sens véritable de la lutte du fait qu'ils luttaient avec les catégories
logiques, sociales, anthropologiques et scientifiques de ceux qu'ils entendent
combattre. Ils se sont salis avec la même eau dont ils prétendent se laver. Ma
thèse contre cette tactique d'une militance en double teinte, prise qui croit
prendre, est que lutter c'est savoir faire des « pas de côté ».
Tout face-à-face dans la lutte ne vise que le « renversement
des rapports », qui est, à son tour, par ironie de la posture dualiste (celle
qui pose la division de la société en deux classes, bourgeois et prolétaire,
paysan et intellectuel, etc.), la reproduction du même. Ainsi, ces militants
n'auraient-ils été pris dans les mailles du dispositif de la domination qu'ils
ont eu le cœur net de combattre, mais qu'ils ont eu le grand chagrin de
reproduire sans oser se demander quel fatum
historique ou anthropologique a conduit la lutte toujours à sa case de départ
faute d'avoir obtenu de résultats pertinents, solides et valables,
puisqu'aujourd'hui encore on lutte pour le manger quotidien, on lutte pour la
dimension la plus animale de la vie, le «se nourrir», le «rester en vie»; on
lutte contre la mort ? Leur erreur réside dans le fait qu'ils n'ont pas su
faire ce « pas de côté ». Ils étaient tellement obnubilés par le cadre
discursif de l'autre, le « bourgeois », le « blanc », ils n'ont pas senti qu'ils portaient en eux les germes
d'un ordre sociopolitique autre. C'est pour n'avoir pas su choisir entre ce
qu'ils contemplaient et ce qu'ils vivaient que certains d'entre eux ont
enfanté des monstres : contester le pouvoir pour y accéder par n'importe quel moyen
ou défendre le pouvoir par n'importe quel moyen. Or, lutter ce n'est pas nécessairement
combattre de manière frontale, dans un corps à corps superflu, le discours de
l'autre (l’« ennemi» ou l'«adversaire») au moyen de son propre discours en inversant
les termes: prolétaire versus bourgeoisie, paysannerie versus intellectualité,
liberté versus asservissement, appauvrissement versus enrichissement, etc. Il
faut sortir du discours de l'autre, puisque lutter c'est se défaire d'un
discours qui, par sa forme englobante, enferme même son contestataire se voyant
contraint d'utiliser sa syntaxe, sa grammaire et souvent sa sémantique et sa
pragmatique. La perspective première de la lutte exige le pouvoir
déterritorialisant de l'imagination. Lutter c'est habiter les mondes possibles
(de l'imagination) et non les mondes déjà existants. À bien voir ces militants
n'ont pas de mondes possibles, ils s'accrochent tellement à ce monde actuel :
ils y construisent comme ils y gâchent des vies, ils montent des intrigues pour
préserver les privilèges des leurs et profiter du statu quo.
Ma constatation a un enjeu majeur : le corps, la corporéité
est toujours absente dans la prise en compte théorique du militantisme haïtien
qui, pour s'être souvent versé dans un matérialisme famélique, n'en est pas
moins en contemption du corps. Or, le corps étant textualisé par le discours
qui le prend en charge devient présence du discours même dans les pratiques de
contestation. Une fois la lutte est contenue dans les anciennes pratiques,
devenues ainsi surdéterminations, il est donc incohérent de penser le fait de
lutter par le simple acte de prononcer des slogans oppositionnels incantatoires,
du style, « nou pa vle », « aba lenjistis
», « leta pèpè », « boujwazi lakras », etc. Lutter c'est créer, sortir du cadre
routinier d'interprétation pour instituer de nouveaux mondes. Ce qui veut dire
qu'il ne suffit pas de s'opposer, de se mettre dans l'opposition pour mener un
acte de libération et penser améliorer sa condition et celle de tous les autres.
Il faut se défaire de la grammaire, de la syntaxe, de la sémantique et de la
pragmatique des pratiques d'asservissement, d'exploitation ou de manipulation
qui ont pris le corps en otage et le convertissent en machine à reproduire du
même. Dans le cas contraire, lutter n'est qu'un prétexte politicien pour se
substituer à ceux qui sont au pouvoir. De telles luttes sont récurrentes dans l'histoire
politique contemporaine de la société haïtienne.
I-
Lutter
ce n'est pas seulement « dire non »
Albert Camus, dans L'homme
révolté, propose la condition fondamentale de la lutte, entendue comme «
révolte ». « Qu’est-ce qu'un homme révolté ? se demande-t-il. Il répond de
manière lapidaire : « Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas
: c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave, qui
a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement.
Quel est le contenu de ce « non » ?
Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », «
jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, «il y a une
limite que vous ne dépasserez pas ». En somme ce non affirme l'existence d'une
frontière.[ii]»
Camus s'est enfermé dans la théorie classique de la lutte ou
de la révolte qui pose la lutte comme le fait de rompre avec un ordre
politico-social et économique inacceptable du fait de son caractère corrosif.
Le fait de dire « non » traduit le début de la lutte ; c'est la lutte
annoncée. Dans ce « non » se met en place une rupture et une annonce, puisque «
dire non » c'est dire aussi en même temps « oui ». En réalité, cette
compréhension s'en tient au manichéisme qui nie l'existence d'autres mondes que
celui de l'exploitation-loisir, de l'asservissement-libération qui se trouve
divisé en « non » et en « oui ». Le manichéisme pose l'existence d'un monde où
se battent deux principes irréductibles, le bien et le mal ; il s'agit du
même monde compris comme une médaille à deux faces opposées ou différentes mais
intimement liées. Dans la vision de Camus, comme dans celle du militantisme
haïtien, le monde sociopolitique est régi par deux spatialités, celle du
dominant et celle du dominé, chacune liée à des temporalités différentes. La
spatialité du dominant est régie par la temporalité de l'enrichissement, de la
jouissance et du loisir, etc., celle du dominé par l'appauvrissement, la
complainte et la fatigue, etc. La logique de lutte proposée par Camus est celle
d'un monde manichéen, un monde à deux principes, non et oui, vers le même idéal
de liberté contre la domination ou inversement. Un « homme révolté » est donc
un homme divisé entre le non et le oui, jusqu'au moment où il se résout à
prendre la voix de la rupture, celle du non définitif qui débouche sur la
révolte, et sur le renversement de l'ordre d'exploitation ou de domination. Une
temporalité duelle décrit cette révolte qui trace la « frontière » entre un passé,
celui de la domination-exploitation et un présent, celui du « refus » qui
s'élabore vaguement en promesse construite. Cette temporalité de la promesse
tient lieu d’une transition, d’un long processus qui, si je comprends bien, ne
laisse pas le choix aux militants qui gèrent l’immédiateté. Comment ce non
définitif peut-il se transformer en un oui définitif à partir de la promesse
d’un monde sans exploitation ?
Cette théorie de la
lutte comme rupture présuppose une cosmogonie, source du cadre de conceptualisation
de la lutte comme refus, comme négation ou dépassement. Elle entend promouvoir
une logique dialectique où les contradictions peuvent s'annuler dans la
promesse des jours heureux où l'exploitation sera entièrement abolie. D'une
part, la théorie de la révolte, de la lutte contre les oppressions suppose un
monde composé d'entités marquées, les unes par la bonté, les autres par la
malfaisance. Un monde peuplé de forces opposées en lutte dont la fin est dans
le renversement continu et alternatif. D'autre part, ce monde de division est
celui de la confrontation, de la guerre, de la domination, de l'exploitation, de
l'asservissement et du désir de liberté, de contestation, de revendication, etc.
Pourtant, si la confrontation est décrite, elle est souvent montrée comme
l'affrontement de deux camps, l'un a pour attribut le bien et l'autre le mal ;
l'exploitation est mauvaise et la contestation est bonne. Le dualisme justifie
le duel qui est irrécusable et qui se justifie par la vertu de civilisation des
uns et celle de libération des autres. A l'arrivée, il est difficile de savoir
où se trouvent le bien et le mal dans le mouvement dialectique de la
civilisation et de la libération, puisque chacune laisse son lot de morts aux
cimetières de l'histoire et se persuade d'être missionnée pour le salut de
l'humanité. Toutes deux, procès de civilisation ou de liberté, se définissent
selon le même principe du salut du genre humain. La théorie de la lutte est une
théorie du miroir où celui qui regarde n'a de reflet que son propre portrait.
Enfin, c'est une théorie du monde compris comme matérialité des relations à
arpenter selon le bien, le vrai, le beau et le juste. Elle croit décrire et
recenser toutes les formes de domination à partir d'une géographie de la
spatialité des dominations, des exploitations. Elle croit aussi déterminer
spatialement où se trouvent les pratiques de domination, chez les « bourgeois »,
les « riches ». Alors que la domination est une temporalité ; elle passe aussi
par le corps ou la corporéité dominée ou asservie et peut prendre des formes
diverses selon le corps en question.
Il faut penser les
dominations à partir du corps et du discours. Voir par où passe le discours de
légitimation de la domination et comment ce lieu de passage ou de transit est
aussi un lieu de re-production de domination. Le premier lieu de passage reste
le corps dans sa plasticité qui sait sédimenter les pratiques pour les
reproduire. C'est en étant attentif uniquement à cette économie somatique que la
lutte peut être prise au sérieux, puisque cette attention permet aussi de
suivre les modes de réactualisation par le corps, dans sa créativité labile,
les formes de domination qui se déterritorialise en se reterritorialisant
ailleurs de manière souvent surprenante. Dans le cas contraire, ayant à
l'esprit les diverses luttes haïtiennes pour la libération, la lutte qui est
refus est aussi assentiment et consentement à son propre contre-idéal ; son «
non » n'est qu'une métaphorisation du « non » du système d'exploitation, son «
oui » une antithèse à son « oui » véritable. La lutte dans la société haïtienne
est, semble-t-il, frappée du tragique. Non du tragique propre à l'action à
plusieurs décrit par Etienne Tassin, commenté par mon ami philosophe,
Jean-Waddimir Gustinvil, non plus dans le sens de Myriam Revault d'Allones, qui
a consacré de longues réflexions, à partir de l'expérience grecque, sur la
«part maudite de la politique[iii]».
Le tragique dont il est question dans le cas de la politique haïtienne est non
seulement entretenu par ce qui est considéré par ces philosophes comme la part
proprement maudite de la politique, mais aussi par la surdétermination de
l'action par le discours « colonial » que cette action prétend déconstruire
alors qu'elle se construit au moyen de ce même discours. Le tragique de la
lutte dans la société haïtienne, comme ce peut être le cas des sociétés postesclavagistes
ou postcoloniales[iv], prend forme
dans la difficulté à sortir de la grande nuit
coloniale malgré les optimismes des promesses d'émancipation, de « changer de système
».
En arrière-plan, il s'agit de suggérer (puisqu'il serait
long de développer les linéaments de cette implication), que les luttes haïtiennes
–particulièrement celles dans lesquelles la société haïtienne est prise depuis
2018- sont pauvres d'imagination et de conviction de faire du monde nouveau,
puisque chacun tire ses intérêts de sa petite place dans le système. En fin de
compte, je laisserai la question pendante aux engagements citoyens de chacune
ou de chacun, il s'agit de savoir que veut dire « changer la société haïtienne
». Cette question est à entendre aussi dans ce sens « que veut dire changer
pour les Haïtiens ?
II-
Les
formes de luttes dans la société haïtienne
Les luttes haïtiennes historiquement héritent de la lutte fondatrice
pour la libération de la colonie de Saint-Domingue de la domination des colons français.
Elles ont entendu formuler une seule série de questions, celles, politiques,
d'accès aux jouissances des biens collectifs selon le principe cardinal de
l'égalité. Elles ont rarement pris forme de luttes pour des abstractions de la
philosophie politique moderne, telles que la liberté ou la participation
directe aux prises de décisions sur la gestion de la société. Elles se dressent
souvent en revendications, en interpellation de l'État comme pourvoyeurs ou
distributeurs de privilèges. D’abord, elles sont portées par des représentations
qui se révèlent à l'arrivée peu crédibles, et se soldent souvent à des actes de
trahison. Elles sont aussi souvent indifférenciées ; menées par des hommes au
nom des hommes ou de tout homme, les femmes sont les grandes oubliées. Menées
aussi par des gens de conditions psychologiques, physiologiques, considérées
comme normales, elles oublient souvent les enfants, les handicapés, les
vieillards, etc. Menées dans les grandes agglomérations urbaines, elles
négligent les paysans ou les utilisent à des fins particulières. Menées contre
le mode de gestion des biens publics, elles entérinent le statut de l'État
comme source de dispensation de privilèges et de distinctions. Elles instituent
le système de domination dans leurs propres styles de revendications qui se
formulent dans le discours global de l'État comme instance de la généralité et
de la communauté sans s'interroger sur les modalités du commun qu'il est
possible d'instituer.
Ces luttes, conduites souvent sous le label de la libération
contre les formes d'oppression, et d’injustice au nom des « défavorisés du
système »[v],
de l'accès à certains biens sociaux ou économiques et symboliques, se conçoivent
selon une grammaire de la dualité. Cette grammaire divise la société haïtienne
entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Les premiers se considèrent
comme aptes à parler au nom des seconds qui, en conséquence, doivent se
soumettre à leurs savoirs et techniques : les modalités de la lutte, le discours
à mettre en place, la radicalisation ou non de la lutte et les négociations à
entreprendre avec généralement le président de la République, reconnu, comme
seul interlocuteur valable. Le plus important de ce descriptif représente
l'incontournable présence du pouvoir étatique comme instance d'interpellation,
malgré l'implication de certains leaders (des oppositions diverses) au sein du
pouvoir. Cette dynamique de revendication ou d'interpellation suscite le
sentiment que la société s'oppose de manière pathétique à son État, puisqu'elle
est incapable de se penser sans les horizons de cet État, pour exiger de
nouvelles redistributions.
Les luttes sociales et politiques haïtiennes entendent
soutenir un ordre de partage dans la société haïtienne, leur objectif reste
tout simplement de créer l'accès au pouvoir (devenu donc comme seule instance
de réalisation de soi, de son épanouissement) à plus de citoyens. « Plus de citoyens
» s'entend dans le sens haïtien de la citoyenneté. Qu'est-ce qu'être citoyen
pour l'Haïtien (dépouillé de sa fine carapace obtenue durant ses formations
académiques), en dépit de la prégnance d'un formalisme creux et criard qui
définit la citoyenneté par la majorité juridique de 18 ans ? L'observation
montre clairement que la juridicité de la citoyenneté est doublée par la
représentation sociale qui présente la citoyenneté par son inscription dans le
dispositif colonial des valences françaises : de tenue vestimentaire
occidentale, de propos raffinés, jouissant de biens économiques spectaculaires,
etc. La citoyenneté anthropologique, que je distingue de celle que postule le
droit, surdétermine les revendications politiques en conditionnant les
porte-parole en bénéficiaires ayant droit aux avantages des luttes. Cela
explique la raison pour laquelle les laissés pour compte des quartiers
populaires des grandes villes, les paysans des zones rurales sont souvent
envoyés à la boucherie au nom de pseudo-convictions dans des idéaux mal compris
ou difficiles à prendre dans l'imaginaire haïtien.
De cet amalgame résulte la conséquence importante de la
trahison des paysans ou des gens de la « classe populaire » laissés pour compte
dans les temps des réjouissances sous les feux des armes des soldats ou des
hommes armés du « système ». J'ai montré avec Camus que la lutte est entreprise
dans un monde duel où les hommes en lutte posent un « non » à la gestion du
monde en faveur d'un « oui » qui prétend proposer une nouvelle manière de «
gérer », de « transformer » (non de le faire, de le fictionner) le monde. Dans les luttes haïtiennes ce dualisme est
souvent très vite escamoté par les meneurs de lutte qui se fondent dans les
rangs des oppresseurs. Cette pratique qui se répète au fil de l'histoire
politique haïtienne s'explique non pas par le fait d'une véritable trahison. Il
y a trahison lorsque les agents détournent le mouvement vers son
aspiration contraire. Or, il suffit de penser le lieu discursif de production
des revendications pour se persuader qu'il y a davantage de malentendus que de
trahison. Il y a malentendu du fait que les revendications formulées ont souvent
donné le sentiment du nouveau, d'un monde nouveau alors qu'au fond qu'elles ne
proposent que de nouvelles perspectives au sein du dispositif du monde présent
(qui reste la forme sédimentée du monde passé). Ce qu'elles proposent n'est
qu'une variation du système d'exploitation ou de domination qui doit tourner en
faveur d'une minorité qui, pour s'être risquée la vie[vi],
se convainc de sa légitimité à jouir du pouvoir, à reproduire les formes
diverses de domination par la couleur épidermique, par les possessions
économiques, etc. Ces « héros » de la dérision politique sont comme Œdipe-roi
pris dans les filets du destin, du mauvais destin, celui qui ne produit pas la rédemption dans l'institution d'un ordre
de partage, mais répète son passé comme un boulet au pied. Dans le cas de la
société haïtienne, le destin n'est pas dit par l'oracle, mais par la structure
coloniale qui semble profiter à plus d'uns qui se refusent à la déconstruire du fait de leur place ou
des opportunités que leur place offre le jeu des redistributions. Cela
explique, par exemple, l'ambivalence de la position de certains des oppositions
politiques qui contestent l'ingérence
de l’« étranger» dans les affaires haïtiennes, pourtant appellent souvent
l'intervention de cet «étranger» pour défendre contre leurs compatriotes
haïtiens leurs positions privilégiées dans le système. Dans le système colonial
à dévoiler dans la société haïtienne, il est important de constater que lutte
est souvent un remue-ménage pour faire de la place pour soi et ses proches.
En fait, la politique haïtienne se déroule par le même jeu
de rôle, la même scène et les mêmes mimiques des acteurs qui s'entendent sur
des jeux de rôle. Ce qu'on appelle souvent la « classe politique » dans les
discours politiques haïtiens n'est qu'une corporation informelle d'agents qui
mobilisent le « refus » comme modalité de contester. Leur jeu de rôle devient une
variation des pratiques de corruption, de concussion, de mise à mort des plus
vulnérables de la société haïtienne. Le traitement accordé au système éducatif
en est l'exemple le plus éloquent qui ne saurait échapper à aucun observateur, même
le moins averti : tous s'accordent à faire des écoliers, des étudiants les
instrumentalisés d'une cause inavouable. Une cause en tout cas qui ne prend
aucunement en compte l'amélioration des conditions de vie des appauvris. Les
écoles, les universités sont fermées durant des mois sans pouvoir repérer les
responsables politiques de cette fermeture irrégulière. À la surprise de toutes
les familles, les oppositions et les responsables du gouvernement s'accusent
réciproquement de cette fermeture. En fin de compte, plus de responsables et
les parents ne font que subir les dépenses vaines et accepter impuissants leurs
enfants qui passent du temps vide sans pouvoir passer en classes supérieures
(alors que la majorité des responsables politiques qui donnent souvent les
consignes de fermeture des classes ont toutes les opportunités en main pour
assurer la formation de leurs enfants). Une chose est certaine, des oppositions
ou du gouvernement, tous ont tiré profit de cette fermeture. Lorsque la «
classe politique » se partage la fermeture de l'école comme butin de guerre, et
met en péril l'avenir des plus jeunes, en quoi y-a-t-il lieu de parler de «
changement », de « changement de système » ?
Cette concordance des manières de lutter, de « gauche »
et/ou de « droite », ne se produit pas au hasard. Elle est l'effet d'une vision
unitariste de l'État dont se nourrissent le pouvoir politique (par pouvoir
politique j'entends l’espace de privilèges que procurent les institutions
publiques que l’on met au service de ses intérêts propres ou de leur groupe
d’intérêt) et la société haïtienne qui entendent soutenir la logique
occidentale d'organisation sociopolitique en mettant en retrait d'autres modes
de vivre-ensemble. Donc, cette concordance est une cohérence systémique, qui
pourtant, est minée souterrainement ou inconsciemment par les pratiques mêmes
des agents sociaux et politiques. Elle montre, toutefois comment la voie est
difficile aux agents à produire une véritable lutte d'émancipation qui ne soit
pas la répétition du système de domination, d'appauvrissement-enrichissement ;
elle invite à sonder les discours « mineurs » qui sont en circulation dans la
société haïtienne[vii].
Comment sortir de ce « système », décrit comme un système d'exploitation
outrancière, de corruption à tous les niveaux de la société ? Il faudra
opérer un « pas de côté ». Sortir d'un lieu, celui du système actuel, c'est
entreprendre la latéralité grâce à laquelle on rompt avec la routine de la
régularité quotidienne faite de colonialité pour tracer de nouvelles voies, de
nouvelles orientations, perspectives.
III-
La
lutte doit être un « pas de côté » : inventer son propre chemin
Qu'est-ce qu'un « pas de côté » ? Le « pas de côté »
suppose une régularité, une linéarité directe qui traduit la voie normale ou
régulière que l'on tient dans la mise en œuvre de quelque chose. Cette
régularité est peut-être l'ordinaire, le quotidien, toujours pris par l'urgence
qui fait l'économie de l'invention, de la rupture. Il y a donc la voie
régulière, normale, le chemin qu'emprunte le grand nombre et qui dessine ainsi
la tendance, l'orientation habituelle, la ligne droite. Le « pas de côté» est
ce pas «latéral» qui dessine une nouvelle voie, une nouvelle orientation en parallèle
à la voie ordinaire qui devient secondaire ou superflue. Dans la géométrie de
la voie habituelle qui offre la facilité d'accès à la finalité ou but
préalablement fixé et conditionnant chacun à prendre le chemin le plus court,
le chemin habituel qui diminue les surprises et les fourvoiements, le « pas de côté
» apparait comme une nouvelle tracée. Étant telle, cette tracée nouvelle
creusée dans la terre en friche effectuée par le « pas de côté » fait appel à
la patience de l'œuvre à achever ou à parfaire, à la créativité de
l'imagination et de la liberté et à la force de construction de l'intelligence.
L'aspect le plus fondamental du « pas de côté » est la
latéralité qui désigne le geste en rupture à la normalité, à la
linéarité de la voie quotidienne ou routinière des générations passées. Cette
latéralité, entendue comme rupture, traduit en effet toute la puissance d'agir
que renferme l'expérience radicale de la capabilité du corps. Abandonner un
chantier battu au profit d'une voie à tracer qui exige créativité, intelligence
et liberté, c'est se poser en corporéité créatrice, en intelligence perspicace
et libre. En effet, la latéralité du « pas de côté » annonce l'institution
d'une nouvelle expérience qui ouvre vers de nouvelles manières d'être, de
nouvelles manières de faire. Mais c'est la rupture qui semble indiquer tout
l'aspect « révolutionnaire » du « pas de côté ». Avec elle, le « pas de côté »
devient non simple pas, un faux pas qui se serait exécuté par mégarde et par
ignorance des vertus libératrices de cette voie qui se dessine dans ce faux
pas. Avec elle, le pas de côté devient la tentative délibérée d'ouvrir des
brèches dans les structures ordinaires de la voie déjà dessinées. La rupture
comprend une décision consciente, volontaire et assumée qui fait du « pas de côté
» une technique, une stratégie, un projet de construction, une autre vision du
monde, un souci tenace de créer un nouveau monde écarté du monde ordinaire de
la voie normale. Mise à part la force de discontinuité du « pas de côté » qui
est force de créativité, d'intelligence pratique, quelque chose se présente
dans le « pas de côté » comme un refus de se mettre en face de l'ordre
ordinaire qui devient engluant, assommant. Le « pas de côté » donc signale une
formule forte que la lutte doit faire sienne : la lutte d'émancipation qui
n'entend pas reconduire les « restes » de l’ « ancien régime» doit
cesser de faire face, puisque dans l'acte de faire face, on encourt le risque
d'être pris par le charme du dispositif ancien, qui a su inséminer tous les
nerfs du corps[viii].
a) Le
pas de côté et la raideur de la routine
Evidemment toute la question consiste à savoir comment
contraindre ce corps structuré à partir de la syntaxe et de la sémantique du
discours ancien, celui que l'on tient à changer en vue d'y écrire une nouvelle
textualité. Comment construire une corporéité à partir du dispositif
ancien ? Ou encore comment recréer la corporéité qui doit inventer la
latéralité et s'y adapter ?
Si cette question se montre aporétique c'est justement parce
qu'on se rend très peu attentif à quelque chose de très singulier dans les
expériences de l'injustice. Il s'agit de la force de rupture de la souffrance,
qui renferme une poïéticité radicale de mise à mal du système. Une
phénoménologie de la souffrance que je ne pourrai même pas esquisser ici
permettrait de remarquer que le corps souffrant, le corps en souffrance est un
corps gros d'une promesse d'enfantement d'autre chose que sa souffrance, de
délivrance, d'accouchement d'une réalité joyeuse. Il n'est pas habité par
hasard par une temporalité tendue qui tient ensemble la douleur de la
domination, l'in-supportabilité de cette douleur et le désir de s'en libérer
même par la rêverie, qui prend la forme radicale de la manifestation du désir
d'être pris comme être de dignité, comme « grandeur infinie ». Si le dispositif
d’exploitation donne lieu à des corps souffrants, il inspire en même temps la
voie de la rupture. Le « pas de côté » qui se dessine sous la forme du
sentiment de mal-être, de malaise est autant de manifestations paradoxales,
puisqu’il lie à la fois souffrance et espérance, mal-être et désir de
bien-être.
Ce que le « pas de côté » est appelé à mettre en forme du
point de vue théorique consiste à traduire cette émotion, ce sentiment de
malaise en souci de se libérer entièrement et véritablement du dispositif. Or,
il est incontestable que l'horizon visé par cette souffrance, par ce corps pris
de fatigue, n'est nullement l'horizon de celui qui l'a généré. Autrement dit,
la souffrance comme condition de libération invente tout un lexique fait de
renversements, de colères, d'invectives qui disent le besoin de passer à autre
chose que le système de domination, d'asservissement. C'est pour cette raison
qu'elle invente une marge d'expressivité, une voie souterraine de circulation,
une gestuelle faite de feinte, de simulacre que James Scott décrit sous les
pratiques des arts de la résistance[ix].
Toute cette nouvelle sémiotique qui ne trouve pas de traductibilité dans la
grammaire du dispositif à combattre ébauche le besoin d'une part d'exister
autrement au sein même du dispositif générateur de souffrances ; d'autre
part, elle annonce le dessin d'un monde nouveau. La résistance est à la fois
passivité et activité. Ce qui se révèle problématique prend forme dans le mode
d'appropriation discursive de cette nouvelle sémiotique par la frange lettrée,
qui se pose en porte-parole des souffrants. Au cours de ce travail de
traduction s'impose une dynamique de dévoiement et de confusion où les lexiques
se mêlent sans le travail préalable de restitution de sens nouveaux. Cette
confusion est à mettre sous le compte de l'inattention manifeste plutôt que sur
le retour du dispositif au sein du travail qui se veut révolutionnaire. Ce
retour, par ailleurs, n'a rien à voir au retour du refoulé. Au contraire, il
marque l'insistance de la vision du monde de l'ordinaire que les traducteurs se
révèlent incapables de se défaire, trop éblouis ou fascinés par le besoin
d'occuper les places du pouvoir. Incapables de créer parce qu'ils sont pauvres
de saines imaginations, ils s'emmurent et font avec les moyens du bord,
lesquels moyens du bord sont les ressources affadies du système de domination,
d'exploitation. Ce qui se trouve refoulé cette fois c'est le projet de « pas de
côté » dont est gros le sentiment de souffrance des pauvres gens.
Je prendrai pour illustrer la modalité première du « pas de côté
», comme la forme que doit prendre la lutte si elle entend se défaire du
dispositif qu'elle se propose de combattre et d'en arriver à bout pour le
projet d'institution d'un monde nouveau. L'exemple qui me paraît le plus clair
pour donner une vue saisissante de la latéralité orientant la lutte vers une
voie parallèle à l'ordinaire du dispositif concerne la réflexion
épistémologique de Thomas Kuhn sur la « structure des révolutions scientifiques»,
qui s'est préoccupé du changement de «paradigme» dans le champ de la science.
Cette réflexion, à mon avis, peut servir de point de départ pour décrire le
sens de la lutte comme tentative de changer de paradigme politique,
c'est-à-dire de changer les cadres d'interprétation du pouvoir comme ce qui est
à prendre ou à conserver au profit d'une minorité dominatrice ou violente alors
qu'il devrait être une manière de se légitimer par la promotion du commun ou
des communs ou de l'intérêt général.
Kuhn propose lui-même le « parallélisme » entre «
développement politique » et développement scientifique ». Le nœud du
parallélisme se dégage du concept de révolution souvent utilisé dans les
sciences politiques pour désigner un changement de « dispositif » ou «
paradigme », défini indistinctement comme cadre général d'interprétation du
monde donnant lieu à des convictions et des manières de faire. Selon Kuhn, les
« révolutions politiques commencent par le sentiment croissant, parfois
restreint à une fraction de la communauté politique, que les institutions
existantes ont cessé de répondre d'une manière adéquate aux problèmes posés par
un environnement qu'elles ont contribué à créer.[x]»
Ce même « sentiment croissant » qu'un « paradigme a cessé de fonctionner de
manière satisfaisante » débouchant sur le « non » aux structures habituelles,
s'observe aussi dans les sciences. Donc, « dans le développement politique
comme dans celui des sciences, le sentiment d'un fonctionnement défectueux,
susceptible d'aboutir à une crise, est la condition indispensable pour aboutir
à une crise et est la condition indispensable des révolutions.[xi]»
Kuhn poursuit le « parallélisme » de la révolution politique
et scientifique en se montrant attentif à un aspect très important du
changement des institutions qui ne sont plus capables de répondre aux
aspirations de réalisation de soi des citoyens[xii].
Le plus important à prendre en compte dans ce deuxième aspect du parallélisme
porte sur la tension déclarée entre les révolutions politiques et la résistance
des institutions existantes. « Les révolutions politiques visent à changer les
institutions par des procédés que ces institutions elles-mêmes interdisent.
Leur succès exige donc l'abandon partiel d'un ensemble d'institutions
politiques en faveur d'un autre et dans l'intervalle n'est vraiment gouvernée
par aucun système d'institution.[xiii]»
Le moment de la révolution, de la lutte ou de la crise est celui de
l'indétermination du système d'institution. Si l'indétermination porte
davantage sur la confusion, le manque de clarté ou de circonscription dans
l'ordre politique, étant grosse de nouvelles perspectives, elle est aussi
promesse d'un nouvel ordre d'institution. En ce sens, on se trompe souvent de
croire que la lutte est simplement fulgurance, jaillissement des
revendications. Les résistances des institutions, politiques, sociales,
économiques et culturelles tiennent par des raisons diverses à l'ancien
paradigme[xiv]. A ce
niveau de l'interprétation du changement de paradigme, de la « révolution des
structures scientifiques » et politiques, je retiens l'idée cardinale que le
changement de dispositif dérive d'une adéquation entre les aspirations des
citoyens ou des scientifiques et les institutions qui se révèlent au jour le
jour insatisfaisantes. Il s'agit d'un « sentiment croissant » d'insatisfaction
qui inspire aux «individus» les impressions d'être «étrangers à la vie
politique», lesquelles impressions augmentant au jour le jour, elles conduisent
les individus à «s'engager dans un projet concret de reconstruction de la société,
au sein d'un nouveau cadre institutionnel.» De cette insatisfaction exacerbée, Kuhn
constate qu'à ce « stade » d'insatisfaction intolérable, « la société se
trouve divisée en camps ou partis concurrents, l'un s'efforçant de défendre
l'ancien ensemble institutionnel, les autres, d'en instituer un nouveau. Et une
fois cette polarisation effectuée, tout
recours politique échoue. Parce qu'ils sont en désaccord sur les fondements
institutionnels à partir desquels ce changement politique doit s'effectuer et être
évalué, parce qu'ils ne reconnaissent aucun cadre supérieur aux institutions auquel
reviendrait les compétences de juger les différends révolutionnaires, les
partis face à face dans un conflit révolutionnaire doivent finalement recourir
à des techniques de persuasion de masse et souvent même à la force.[xv]»
Ce même paradigme, selon Kuhn, structure les révolutions scientifiques où
«chaque groupe se sert de son propre paradigme pour y puiser ses arguments de
défense.[xvi]»
Ce long détour par les considérations de Kuhn sur le changement de paradigme
dans les sciences et dans la politique sert à m'interroger sur la difficulté à
changer de dispositif dans la société haïtienne.
D'une part, il faut supposer que la rationalité
scientifique, par sa constitution réductrice des affectivités ou des «
irrationalités », se veut une construction bien circonscrite de la raison. Sa
cartographie mesurée de bout en bout favorise le changement comme rupture
radicale, même si, souvent cette rupture n'est pas immédiatement consommée.
Elle appelle, elle aussi, une temporalité plus ou moins longue pour s'établir.
C'est là tout le sens des « résistances » des institutions scientifiques à
admettre à première vue un changement de paradigme. Dans les expériences
sociales, culturelles ou politiques, les institutions sont plus imbriquées et
sont portées par des couches de sédimentation imaginaires et symboliques plus
denses. Dans ce cas, leurs changements se révèlent plus difficiles, du moins,
exigent un travail plus ardu d'imagination qui consiste à se défaire de ces
imaginaires, de ces symboliques pour faire advenir des cadres d'interprétation
nouveaux. Or, -c'est un autre aspect de la difficulté de changement de
paradigmes symboliques ou d’imaginaires-, en plus que les cadres
d'interprétation prennent dans la chair des individus informant du même coup
leur manière d'appréhender le monde, ils participent même aux modalités
d'interprétation du changement. C'est le cercle de la « précompréhension » de
l'herméneutique heideggérienne. Il montre que les individus sont toujours dans
la compréhension préalable à toute compréhension réfléchie ou consciente. Kuhn
a été conscient de ce « cercle herméneutique » chez les scientifiques, mais il
n'a pas su le mettre à jour concernant les révolutions politiques: « le
raisonnement circulaire qui en résulte ne diminue évidemment pas la valeur ou même la force des
arguments.» Ce qui est vrai, mais le cercle montre qu'au fond le changement de
paradigme dans les sciences n'est pas un changement du paradigme de la science,
formé à partir du récit de la rationalité, de la positivité des objets, de
l'objectivité ou de la falsifiabilité, etc.
Dans le cas qui me préoccupe, il faut partir du paradigme de
la politique dans la société haïtienne, pour comprendre dans quel cercle de
précompréhension est pris ce qui est appelé par le discours politique haïtien,
la « classe politique ». J'emploie sans distinction paradigme ou dispositif
pour désigner le cadre d'interprétation ordinaire, l'imaginaire qui structure
les pratiques du pouvoir politique et ses relations avec les citoyens, lesquels
ne sont pas indépendants de cette interprétation. Il faut dire que la société
haïtienne propose une compréhension de la politique qui se trouve confortée et
renforcée par les pratiques des agents politiques qui, incapables de proposer
de nouvelles perspectives, s'agglutinent à ce qu'ils ont sous la main. Cette
compréhension peut prendre cette formulation : d'abord, elle se fonde sur
l'absence d'un commun apaisé, d'un commun institué formellement. Le commun
haïtien est un commun fondamentalement dissensuel, qui se manifeste dans le
lien des oppositions, des tensions ou des conflits. Pour mieux comprendre cette
thèse dérangeante, je dois poser que des liens se tissent aussi dans le
conflit, dans les oppositions. Mais il s'agit de liens paradoxaux, de liens qui
lient en séparant. Si le lien social se construit sur la durée, il appelle en
même temps la durée comme vecteur indispensable. Dans le cas que je décris, le
lien est lâche et sporadique ; il se fait et se défait au gré des émotions
soutenues par des intérêts, des récits construits souvent pour les besoins de
la cause. J'admets que tout cela mérite un développement plus structuré. Cela
viendra au moment opportun. Pour le moment, il est important d'avancer, pour la
clarté de mes propos suivants, que la communauté haïtienne est une communauté
dissensuelle et son seul lien est le dissensus ou la méfiance. Même lorsque je
reconnais que toutes les sociétés humaines comportent des moments de dissensus
ou s'organisent sur le dissensus comme modalité de créativité culturelle ou de
dynamique sociale propre. Dans la société haïtienne, le dissensus prend au contraire
l'aspect structurant de fondation. La question du récit est la preuve centrale
de cette difficulté à faire lien au niveau macro-sociologique, puisqu'au fait
aucun récit partagé ne tisse les relations sociales et politiques globales
haïtiennes.
Ensuite, faute de mémoires ou de récits partagés au niveau
macro-socio-logique, la dynamique sociale et politique s'organise autour de
poches de relations définies par la famille (la familia). Il faut prendre la notion de famille très au sérieux et
la construire en concept. Il ne s'agit pas de la famille parentaire, liée par
des liens de sang et affectifs. Du moins, il ne s'agit pas seulement de cela.
La famille dans la dynamique sociale et anthropologique haïtienne peut
s'étendre des membres de sa famille biologico-culturelle à son tokay, aux enfants de son parrain et sa
marraine jusqu'aux voisins (vwazinaj se fanmi).
Pris dans ce sens renouvelé, la famille désigne un spectre plus large de
relations et de liens que celui qu'on croit comprendre lorsque l'on se réfère
au sens courant. Et on peut supposer la raison pour laquelle un parti politique
peut se désigner de fanmi, on peut
aussi saisir le sens de la tendance des Haïtiens à désigner le chef de l'État
haïtien de papa, papa bon kè. Ce
n'est nullement cet aspect qui m'intéresse le plus amplement. Mon intérêt,
lorsque je mobilise de manière rapide l'herméneutique de la culture haïtienne,
est de montrer que la famille ainsi comprise est une structure sociale et
anthropologique qui permet d'organiser les relations sociales et politiques
haïtiennes en donnant lieu davantage à des relations spontanées, émotionnelles
qu'à des relations régulées ou astreintes à des règles d'intérêt général.
Socialement, cela donne naissance à des pratiques de proximité ou de
promiscuité qui minent toutes les structures de l'administration publique au
profit du clientélisme. La politique, comme lutte pour l'accès ou la
conservation du pouvoir politique, n'est pas épargnée. C'est plus précisément
cet aspect qui me préoccupe le plus.
Les effets de la famille comme structure anthropologique
globale dans la société haïtienne convertissent la politique en une pratique de
réseaux de « frères » et de « sœurs » que l'on observe souvent dans les
sociétés secrètes et les sectes religieuses, ou encore en des groupes ou
d'«amis» et d'«adversaires» que l'on rencontre dans les champs de bataille. Ces
rapprochements aux sociétés secrètes et aux champs de guerre ne sont pas
anodins, ils renferment le sens profond de l'activité politicienne dans la
société haïtienne. Ils introduisent les aspects de l'émotion, de liens
affectifs, liens de cœur qui se trouvent en jeu dans la politique haïtienne.
Cela, me semble-t-il, a plusieurs conséquences.
Du point de vue administratif, le réflexe de recruter ou de
se faire recruter selon des critères autres que ceux des compétences
académiques, professionnelles et expérientielles, et selon le principe du
concours qui aurait im-personnalisé le processus de recrutement et diminué les
relations d'influence, de clientélisme et de népotisme, etc. Pourtant,
actuellement, on recrute par les connaissances, les liens de fanmi, « fanmi politik ». C'est plus
rassurant, puisque les linges sales se lavent en fanmi.
Du point de vue de la dynamique sociale, les relations se
sont établies à partir des liens de parenté ou de relations de proches en proches.
Pour faire un retrait dans une banque, pour s'inscrire à l'université ou
ailleurs, les Haïtiens ont besoin constamment de quelqu'un qui a un droit
d'entrée dans ces institutions publiques afin de lui faciliter les accès.
Enfin, du point de vue de la politique, les biens publics
sont compris comme les biens du chef de l'État (qui peut être celui qui est au
pouvoir, élu, ou un grand homme ou groupe d'hommes du secteur privé des
affaires ou des oppositions politiques). Pour arriver à cette acquisition
familiale des biens publics, il faut remarquer que ce que l'on appelle la «
classe politique » se construit sous les modalités de la famille, par des liens
de sang, des connaissances de proches en proches. Lorsque parfois certains
recrutements se font im-personnalisant les relations, le parti politique dans
ses relations extérieures devient une grande famille. Face à la société, la
classe politique, comprenant l'ensemble des organisations politiques et
sociopolitiques, se dresse en une grande famille qui a pour ambition de se
partager les biens publics (on appelle ce style de partage « partage du gâteau »). Du point de vue
de l'anthropologie politique haïtienne, il faut penser que la politique est
l'activité d'une « famille élargie » qui se sert du pouvoir public comme instrument
de préservation de «sa » famille, de son renouvellement à l'identique, en dépit
des alternances apparentes. Ainsi comprise, la classe politique, peut-elle
mener la lutte, telle que je l'ai définie par le « pas de côté » ?
Kuhn a décrit avec clarté et perspicacité la dynamique
interne du changement de paradigme. Il a fourni quelques indicateurs pour
comprendre la crise haïtienne mue par l'opposition apparente entre ceux qui
veulent en finir avec le « système » (autre manière de faire référence au «
paradigme » politique) et ceux qui veulent maintenir le système. Kuhn a manqué
une vue anthropologique indéniable pour penser non la dynamique interne de la
science, mais ses relations externes qui la forcent à se distinguer du mythe,
de la religion, de l'art. En dehors de ce point de vue plus englobant, il est
difficile de constater que tous les scientifiques, malgré leurs désaccords qui
donnent lieu parfois à des affronts importants, partagent le paradigme central
de l'objectivité rationnelle ou expérimentale comme condition fondamentale de
la science, par opposition à la magie, à la religion et au mythe. Un tel point
de vue me place à une hauteur surplombante pour observer qu'au fond, selon le
récit de la construction du pouvoir ou de l'État haïtiens, la « classe politique
» haïtienne partage avec elle-même une communauté de compréhension du pouvoir politique
comme répression. Elle soutient aussi que ce pouvoir doit être soutenu
par un État unitaire au service de la communauté internationale et de la
bourgeoisie rentière de contrebande au détriment de la société. En effet, on
analyse souvent une tendance dans la société haïtienne présentée comme une
tendance de la société à se résister à l'État, la « société contre l’État ».
Cette tendance est pourtant une réactivité de la société comme les
pratiques répressives et prédatrices du pouvoir enveloppé dans son imaginaire
colonial qui consiste à agir selon la formule tout par et pour les colons et la
métropole. Aujourd'hui, la reformulation donne : tout par et pour la communauté
internationale et la « classe » économico-politique.
Certaines réalités politiques se présentent aux leaders
politiques comme des évidences. Ainsi sont-ils inattentifs ou indifférents à
ces réalités. Aucun parmi eux ne s'est interrogé, entre autres exemples, sur le
sens de l'État haïtien, produit d'une victoire, qui s'est révélée au cours de
l'histoire sociale et politique haïtienne une victoire à la Pyrrhus, celle de
l'institution d'un État unitaire au cœur d'une société à communautés plurielles
de récits, de mémoires et d'identités.
Pour mieux éclairer
mes propos sur ce point, j'invite le lecteur à être attentif à ces
considérations historiques qui ne sont pas gratuites. L'historiographie
haïtienne[xvii]
s'étant enfermée à volonté dans le récit des décisions des hommes d'État et des
contestations de ces décisions par d'autres hommes d'État (tout le livre
classique de Claude Moïse sur
Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti
comporte la remarque que toutes les «luttes» politiques haïtiennes se réduisent
à un bras de fer incessant entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif,
entre les «oppositions» et l'équipe au pouvoir), a fini par se constituer en
propre récit de l'État, du pouvoir, en d'autres termes, de la «classe
politique». Ce constat propose plusieurs voies d'interprétation. La première considère
que la « classe politique » et le pouvoir politique se constituent du même
récit, en dépit de l'irruption périodique d'un groupe d’« incomptés» parvenus
et arrivistes, qui se sont vite formés à l'imaginaire «familialiste» du pouvoir
politique. La deuxième, en tant qu'elle promeut un récit qui inspire une
politique de la répression, de l'injustice, de la corruption et de la mise à
mort, cette historiographie est aussi silencement
d'autres récits, d'autres projets de société, d'autres institutions de la
citoyenneté, d'autres modalités d'administrer le commun et de le définir.
Enfin, il y a clairement une identité de la « classe politique » haïtienne,
sclérosée dans les pratiques de clientélisme, de mystification et de trahison
des mouvements sociaux populaires. Cette identité, si je dois la nommer, prend
le nom de la colonialité, qui est un mode de « partage du sensible » à partir de
la vision du monde occidental, divisant le monde en noir et blanc, chrétien et
païen, civilisé et barbare. Ces attributs sont construits comme des marqueurs
sociaux et politiques de redistribution ou de justice. De cette vision du monde
découle la constitution des mondes avec la dynamique duelle ou duale, d'où
s'érige la politique d'abrutissement de la méthodologie dualiste des
sciences sociales haïtiennes. Dit autrement, la classe politique haïtienne,
constituée dans les bornes de la philosophie de l'histoire des Lumières,
toujours en vigueur dans le monde occidental en dépit des critiques à la suite
de la Shoa ou à Auschwitz, définie par le progrès, produit une extériorité à
exploiter, à écorcher vif au nom de la « culture » ou de la « civilisation ». Le
lieu de l'imaginaire de la « classe politique » haïtienne est cette philosophie
de l'histoire du progrès, de l'exploitation, de la bestialisation et de
l'extériorisation. Toute lutte, qui ne se veut pas manipulation de pauvres gens
tus par l'historiographie de l'État, doit produire un « pas de côté » à cette
vision du monde occidental. Par quelle latéralité doit-on s'y
prendre ? J'ai souligné au passage
ici et ailleurs qu'il est important de partir des souffrances et des poïétiques
de ces souffrances, des styles de création ou de créativité, auxquelles donnent
lieu ces souffrances.
b) Le
pas de côté et la latéralité
La latéralité prend son origine dans le sentiment de malaise
qui inspire le besoin de procéder au changement de paradigme. Étant simple
sentiment au départ, si elle ne trouve pas sa maturation dans la réflexion, le
débat et se laisse allée à des envolées fanatiques, pathétiques, elle n'a d'autres
voies que de réutiliser la grammaire qu'offre le paradigme qu'elle se propose
de changer. Toutefois, il faut théoriquement maintenir le fait que la
latéralité est sentiment d'insatisfaction, de constat d'inadéquation entre le
système de monde et les besoins d'épanouissement des femmes et hommes, qui
appellent à un autre système de monde capable de réaliser cette adéquation
entre dignité humaine et constitution de monde.
L'histoire politique et sociale haïtienne est donc la
manifestation de cette inadéquation, de cette lutte entre monde et
insatisfaction. Si inadéquation il y a eue, il est clair que celle-ci résulte de
la dénégation des insatisfactions, et des projets de nouveaux paradigmes
qu'elles portent par le système politique, qui institue ce monde d'insatisfaction,
de mal-être. J'ai amplement, montré le soubassement anthropologique qui façonne
la politique et l'inspire des pratiques de ségrégation. Dans cette section, je
dois mettre à jour le dessin de la latéralité comme voie de la lutte, moyennant
que ce qui se donne sous la forme de sentiment, d'impression se formule de
manière plus explicite dans une nouvelle syntaxe, sémantique et pragmatique
politique. À l'arrivée, on pourra procéder à la mise en place d'une nouvelle
grammaire, de nouveaux axes paradigmatiques et syntagmatiques. On pourra mettre
en place une nouvelle grammaire normative des redistributions du commun en
prenant les nouvelles formes de reconfiguration proposées par les poïétiques
des souffrances.
L'historien, Henock Trouillot, raconte au moment des luttes
coloniales la tension qui existait au sein des noirs, entre ce qu'il désigne la
« troupe coloniale » et les « vodouissaints »[xviii].
Cette typologie partielle de la société coloniale concernant le groupe des
noirs libres offre une nouvelle compréhension de la configuration
sociopolitique de la lutte anti-coloniale, particulièrement, eu égard à ses
aspirations opposées, aux stratégies et tactiques. Le point de vue que je tiens
à mettre à jour consiste à supposer que dès ce moment crucial dans le
dénouement de la lutte armée contre le système colonial, se dessine la
dynamique globale de la lutte pour la liberté dans la période nationale heurtée
aux aspirations radicales des chefs de bandes et aux aspirations modérées
reconduisant le schéma colonial des généraux noirs et mulâtres. Une logique
tensionnelle traduit cette lutte : elle est menée au nom de la liberté par deux
groupes socialement identiques, mais sociologiquement différents, celui des
généraux noirs, pris dans la rationalité coloniale du pouvoir, celui des chefs
de bandes, portés par l'élan religieux et une vision radicale de la lutte et de
la libération ou l'institution d'une société politique différente de la
structure sociopolitique occidentale de société politique avec un État unitaire
ou fédéral. Le mode d'organisation de ces « bandes », leur autonomie relative
les unes des autres, en dépit de leurs luttes communes, permet de supposer
encore une fois que l'orientation était davantage portée vers un éclatement de
la société en différentes communautés qui seraient soutenues par différents
récits. En réalité, pour proposer cette voie de compréhension de la dynamique
historique de la société haïtienne, faute de travaux d'historiens, d'ethnologues
disponibles pour appuyer l'hypothèse selon laquelle plusieurs récits traversent
la société haïtienne et la diffractent de manière irréversible. Pour n'avoir
pas été conscient de cette dynamique diverselle de la société que l'on s'est
efforcé à penser selon une dynamique unitaire du moins politiquement, elle se
présente difficile d'appréhension. Ces récits ont pris forme dès l'expérience
coloniale. Je constate avec regret l'absence de travaux sur les modes de
reconfiguration des tribus ou ethnies africaines dans la colonie de Saint-Domingue.
Mon hypothèse, qui entend davantage suggérer un axe de recherche que d'affirmer
une certitude, soutient que même lorsqu'il y aurait de mélanges apparents des
tribus africaines dans la société haïtienne[xix],
des formes de reconfiguration par l'imaginaire se produisent. Les sociétés
secrètes haïtiennes devront constituer en ce sens un terrain important pour
observer ce travail de reconfiguration et la mise en place de récits différents
du récit officiel soutenu par l'historiographie haïtienne et de projets
d'organisations sociopolitiques originales se posant en véritable « pas de côté
» du paradigme politique haïtien officiel. Une fois qu'il serait reconnu que
les sociétés se reconstruisent sous le mode de reconfiguration des tribus
africaines ou se seraient constituées en une forme communautaire particulière,
avec des structurations particulières, il devient sans difficulté de penser
qu'elles se sont en retour dotées d'un idéal d'organisation qui ne reprend pas
nécessairement la logique coloniale, au contraire, entend revenir à des
pratiques africaines d'organisation.
Donc, il faut comprendre que la société haïtienne est une
société plurielle dans sa dynamique souterraine, elle est traversée par des
idéalités d'organisations sociales et politiques qui contreviennent au projet
officiel qui, miné, peine à s'imposer définitivement. Telle est l'idée qu'il
importe d'expliciter pour enfin me questionner sur la raison pour laquelle les «militants»,
les leaders haïtiens se tuent à instituer un ordre colonial de gouvernement
alors que tout en eux trahit cet acharnement. Il suffit de remarquer leur difficulté
à jouer le jeu de la démocratie, de l'alternance et du pluralisme politiques,
de leur inaptitude à instituer une dynamique dialogique pour comprendre qu'un
inconscient, lié à leur vision unitariste faussement assumée et paternaliste du
pouvoir politique, de leurs pratiques despotiques, de leur clanisme
familialiste travaillent leur imaginaire, leur corps.
L'idée de penser la dynamique anthropologique, politique et
sociale de la société haïtienne à partir de la pluralité des récits me vient de
ma lecture d'un ensemble d'articles de Christine Chivallon, anthropologue et
géographe consacrant ses recherches sur la « Caraïbe » et de son livre sur les Amériques noires. Même lorsque ses
travaux ne portent pas directement sur la société haïtienne, j'ai vite trouvé
des échos dans ses argumentaires de certaines expériences haïtiennes qu'on
s'empresse de rejeter comme irrationnelles ou qualifiées d'énigmatiques pour ne
s'être efforcés de sortir du paradigme global de l'exogénéité qui consiste à se
penser dans le spéculaire occidental. Tout le problème avec les chercheurs
haïtiens est qu'ils ont pris la société haïtienne dans une dynamique unitaire,
telle que l'historiographie, la politique et les pratiques de domination le
proposent. Cela aussi est l'expression du choix qui consiste à étudier la
logique sociale haïtienne seulement du point de vue des formes de domination et
des luttes afférentes et non du point de vue des arts des créativités réelles
face à ces formes de domination. Si l'on s'était donné la peine de changer de
perspectives, il aurait apparu très vite que, d'une part, la société haïtienne
est plurielle, d'autre part, de cette pluralité naît une tendance à raturer la
communauté globale au profit de communautés diverses ou d'une « communauté a-centrée
» ou « acéphale ». Les enjeux fondamentaux de cette thèse portent sur le sens ou
la pertinence de l'existence de l'État dans une société soutenue par un
imaginaire de l'absence de communauté. La même hésitation porte aussi sur le
statut du chef de l'État constamment mis en jeu par les membres de la société,
précisément de ceux qui ont la prétention d'occuper la place du chef et sa
fonction[xx].
Formuler autrement ma thèse finale qui traduit la latéralité que doit prendre
la lutte afin de sortir de l'ordre occidental de gouvernement devient : toute
lutte véritable qui entend sortir de la colonialité est appelée à prendre en
compte que les Haïtiens entretiennent de relations sociales, politiques qu'à
l'horizon de leurs communautés. D'une part, il faudra savoir à quelle
communauté on appartient, d'autre part, déterminer la circonférence symbolique,
imaginaire de cette micro-communauté. Enfin, il faudra restituer l'ordre de
pouvoir qui s'y installe.
Je me sers des travaux de Christine Chivallon pour illustrer
le problème haïtien et indiquer la formulation qu'il peut prendre. Selon
Christine Chivallon, il se développe dans les sociétés antillaises et chez les
groupes antillais qui vivent dans les métropoles européennes et américaines une
dynamique de constructions communautaires qui rendent difficile la construction
d'une communauté globale. Les groupes se constituent selon des préoccupations
culturelles, des intérêts différents au regard desquels ils formulent leurs
attentes, leurs normes de vie et leurs modes d'organisation.
Les sociétés antillaises sont composées de plusieurs groupes
historiques, ethniques ou religieux qui leur apportent une structuration
diversifiante. Chacun des groupes portent des récits propres qui constituent
leur vision du monde, leurs relations aux autres groupes. Ces récits deviennent
souvent les conditions de ralliement des individus dans la formation des
groupes qui adoptent des structures constamment renouvelées selon les intérêts.
« L'exemple antillais nous amène loin du constat d'une identité immuablement
mobile. Il montre que le social se construit de façon circonstanciée,
vraisemblablement «en fonction des intérêts matériels et symboliques des
protagonistes du jeu social.[xxi]»
Plusieurs conséquences doivent être tirées du constat selon lequel, d'une part,
les sociétés antillaises sont marquées par des identités mobiles qui semblent
conduire à des intérêts divers et «circonstanciés» ; d'autre part, vu la
relation qui s'établit entre identité et récit, ces identités diverses sont
construites au moyen de stratégies narratives qui accompagnent la construction
du social comme social diversel. L'enjeu le plus important de cette
fractalisation du social mu par des « intérêts matériels et symboliques »
divers c'est, du point de vue politique, celui de l'institution du commun. « À
partir du moment où le politique est vu comme l'instauration « d’un monde commun
», il faut comprendre qu'il ne se produit pas dans le cas antillais d'une telle
élaboration. J. Dahomay parle de la « culture essentiellement polémique
élaborée dans un espace déjà régi par le politique », cultures au sein
desquelles, on retrouverait les espaces d'agencement aux sociétés dans État, et
même « contre l'État, avec « une pulsion très forte d'égalité et le refus de
toute accumulation : une culture de la contre-plantation. Les identités
antillaises seraient riches « en stratégies diverses, voire contradictoires »,
mais rétives « à conférer un sens d’intégralité », « à se rabattre sur un tout
du social ». Ce divorce du politique et du culturel serait à la base de ces
trajectoires paradoxales qui font d'Haïti « une non-République » - l'État ne
parvenant pas à s'accommoder de cette contre-tendance à la formation étatique.[xxii]»
Il faut remarquer qu'en dépit de la pluralité des récits et des communautés,
une tendance importante se forme qui consiste à mettre en déroute la figure
moderne de l'État, structure d'accumulation, d'appauvrissement et d'exploitation.
Sur ce point Christine Chivallon constate une propension des Antillais à refuser
la figure du chef, l'instance unique ou personnelle de l'autorité. Un tel
constat conduit Francis Affergan commentant la thèse de Chivallon à cette conclusion
: « où se situe l'autorité dans ces îles au passé défait par la tyrannie sur
les corps et par les contraintes des esprits ? Dans chaque individu,
serait-on tenté de répondre à la suite de Christine Chivallon. Ni dans une
somme qui annulerait les personnes, ni dans un collectif qui les combinerait.
La crainte qu'exerce sur les sujets le récit communautaire est proportionnelle
à la terreur de se voir discipliner par un ordre social quelconque, fût-il le
leur. Tout «système culturel» devient dans ces conditions suspect de vouloir
contraindre, fût-ce par la séduction ou par la crainte.[xxiii]»
Un ordre sociopolitique qui ne se fonde «ni dans une sommes qui annulerait les
personnes, ni dans un collectif qui les combinerait», ce devrait être un ordre
de construction continue qui s'élabore dans les interstices de la totalisation
et de la combinatoire qui les déplacerait, mais peut-être dans un
associationnisme contigu qui les ferait exister les uns à côté des autres sans
besoin de se faire coiffer d'une structure surplombante.
Il faut souligner que de pareilles études n'ont pas encore
vu le jour dans les sciences sociales haïtiennes, qui s'engoncent dans le
dualisme méthodologique que j'ai déjà critiqué dans le Problème haïtien. Le retard des sciences sociales haïtiennes dans
l'exploration de la dynamique sociale, culturelle ou anthropologique entrave du
même coup le politique et avec lui les revendications militantes, dans une
passion de correction, de rectification comprise comme souci de moderniser la
société haïtienne aux prises avec des restes barbares alors que le militantisme
en question comporte des tendances à déstructurer la communauté au profit des
pratiques familialistes, de pratiques d'associationnisme contigu[xxiv].
L'approche qui prend en compte la dynamique complexifiante de la diversité des
récits, des identités et des projets politiques ouvre par ailleurs la voie à
une plus grande compréhension. Elle permet de ne plus déplorer l'impuissance de
l'État moderne comme incapacité, telle, par exemple, l'incapacité à moderniser
les sociétés. Elle propose la voie nouvelle de l'existence de confrontation de
plusieurs récits, de plusieurs communautés et d'une vision du monde portée par
l'égalité qui met en panne tout dispositif hiérarchisé. Enfin, elle soutient la
difficulté de déploiement de la macro-communauté au profit de la résistance des
micro-communautés, de l'institution de macro-récit au profit des micro-récits.
Cette approche est très stimulante. Je me soustrais en grande partie à son
argumentaire global, même s'il y a lieu d'apporter quelques nuances dès qu'il
s'agit de la société haïtienne.
Je reprends le constat que de telles études peinent à avoir
droit de cité dans l'espace académique haïtien dont les travaux sont souvent
nourris par des partis pris idéologiques qui guident le chercheur. On adopte
aussi par réflexe des perspectives romantiques afin de se montrer proche de la
masse souffrante contre une bourgeoisie prédatrice, et se targuer d'être
défenseur ou porte-parole du peuple tout en reprenant à son propre compte les
pratiques jouissives, rentières et prédatrices de la bourgeoisie. Cette
incohérence manifeste accuse la grande ignorance face à la logique fondamentale
qui consiste à imposer la structure de l'État moderne au nom du peuple qui
invente constamment des stratégies pour mettre en échec le pouvoir étatique. Là
où cette approche pèche par manque de variation de sa perspective qu'elle
aurait dû déplacer du point de vue de la société (« des communautés ») vers
celui de l'État, du point de vue de la psychologie des groupes sociaux vers la
psychologie de l'État, ainsi elle aurait constaté que le refus du chef dépend du
lieu où se situe le citoyen qui change son récit selon le lieu d'énonciation.
En d'autres termes, le refus de l'autorité est contrebalancé par le souci de
s'imposer, d'être le chef. En réalité, on n'assiste pas à un refus entier de
l'autorité ou de toute autorité – on admet volontiers l'autorité du loa, du
hougan, de l’« empereur» des sociétés secrètes, du prêtre ou du pasteur-, il
arrive qu'on conteste un style d'autorité pour soutenir ou imposer son autorité
propre ou celle d'un proche.
La relation du récit et de la constitution des communautés
est révélatrice de cette manière de vivre l'autorité à l'horizon du récit qui
fait lien et du champ communautaire qu'elle institue. Je comprends qu'en
réalité, dans la société haïtienne, le chef jouit d'une légitimité circonscrite
dans les limites de laquelle son pouvoir est efficace, celui de son réseau
familial (la famille est entendue dans le sens anthropologique de structure de
liens sociaux fondamentalement construits sur les états affectifs). En retour,
elle éprouve plus d'intérêt, du fait de ses liens avec les membres de la
communauté en question, à intervenir au profit des siens. Si l'hypothèse tient,
elle amène la question centrale, celle qui part du fait que la société
haïtienne est structurée par des stratégies de récits, d'identités et de
communautés, et qui se demande comment se structurent les horizons de
communautés, quelles sont les modalités pour instituer le chef ? Ces
questions une fois formulées renvoient à cette question centrale, celle la plus
fondamentale à se poser du point de vue politique à partir de la société
haïtienne : s'il y a plusieurs communautés qui semblent porter chacune un
projet d'organisation sociopolitique, comment les organiser toutes et autour de
quel projet ? Telle est la question qui devrait guider toute militance.
Mais avant tout, il faut commencer par l'expliciter, par en faire la théorie,
par donner une forme plus compréhensible au « pas de côté » qu'exige une société
où les micro-communautés peuvent faire valoir leur mode d'être au monde, leur
manière de faire monde indépendamment de la colonialité vers une dynamique
créatrice plus ou moins radicale et annonciatrice de mondes de liberté et de
réalisation de soi.
Edelyn DORISMOND
Professeur de
philosophie au Campus Henry Christophe de Limonade -UEH
Directeur de Programme
au Collège International de Philosophie - Paris
Directeur du comité scientifique de CAEC (Centre d'Appui d'Education à la Citoyenneté)
Responsable de l'axe 2 du laboratoire LADIREP
[i] Cette
cause, il faut le reconnaître, se trouve dénaturée par des prétendus ayant
droit de la société haïtienne qui détournent tout ce qui a le relent
d'amélioration de la condition matérielle, spirituelle des plus appauvris
auxquels la misère enlève le sens de la dignité, la respectabilité de la
grandeur humaine et se perdent dans la criminalité, dans la souffrance, dans
l'inespérance.
[ii]Albert
Camus, L'homme révolté, Paris,
Gallimard, 1951, Les classiques en sciences sociales.
[iii] Myriam
Revault d'Allonnes, « Le dépérissement de
la politique », in Autres temps, Cahiers d'éthique sociale et politique, n°
66, p.83.
[iv] Je
pense à la manière dont Aimé Césaire a formulé ce « tragique » dans Une saison au Congo et dans La tragédie du roi Christophe. Césaire
souligne la manière dont les héros des indépendances ont été pris dans les
tissus de l'imaginaire colonial et se sont trouvés dans la grande impasse de la
sortie de la colonialité. Cette difficulté de la sortie qui se manifeste par la
reprise de certaines pratiques coloniales dans l'ordonnancement politique,
administratif des sociétés nouvelles libérées est l'expression même de ce
nouveau tragique qui s'ajoute au tragique proprement du politique.
[v] Ce qui
laisse entendre que ceux qui produisent ces revendications ne sont toujours
eux-mêmes des « défavorisés du système », du moins ils sont en voie de transit
entre la défaveur de leurs conditions sociales d'existence immédiates et leurs
éventuelles promotions selon l'issue de la lutte : une place ministérielle ou
de directeur général, etc.
[vi] Je
reprends par une nouvelle formulation le cadre général de la thèse du
philosophe Jacky Dahomay qui pense que l'histoire politique haïtienne est
travaillée par l’ « héroïsme». Pris dans le sens hégélien le héros est celui
qui a su risquer sa vie, étant sorti triomphateur de la lutte, il impose la
même structure de réalisation de soi dans l'espace sociopolitique à quiconque
convoite sa position. Ainsi toute l'histoire politique de la société haïtienne
est une lutte héroïque pour le pouvoir, lutte héroïque lutte à mort qui rend
difficile l'institution du commun politique. Voir Jacky Dahomay, « La tentation tyrannique haïtienne »,
in Chemins critiques, vol. 5, n°, La tentation de la tyrannie, 2001, 11-36.
[vii]
J'espère que les sociologues et ethnologues ouvriront de véritables chantiers
sur ce terrain afin que la thèse esquissée ici puisse prendre toute sa force
argumentative.
[viii] Ce
fut pour la première fois le constat de Tocqueville. Alexis de Tocqueville, L'ancien régime et la révolution française, Paris,
Gallimard-Folio, 1985.
[ix] Voir
James C. Scott, La domination et les arts
de la résistance, Paris, Editions Amsterdam, 2019.
[x] Thomas
Samuel Kuhn, La structure des révolutions
scientifiques, Paris, Flammarion, 1983, p. 133.
[xi] Thomas Samuel Kuhn, op. cit, p.134.
[xii] Cette situation d'une double
intentionnalité politique, marquée par le « non » aux institutions existantes,
« oui » aux nouvelles à venir, prend la forme du temps de « crise ». Revenant
au « non » de Camus, qui est à la fois « non » et « oui », on peut remarquer
que ce moment est tendu entre deux attentes : « non » aux institutions qui ne
répondent plus aux aspirations de la communauté en général (attente de la fin
de ces institutions), en même temps «oui» à la mise en place de nouvelles
institutions dont on a que le sentiment de leur efficacité (attente de
l'avènement des nouvelles institutions qui seront la mise en œuvre d'un nouveau
paradigme politique).
[xiii]Thomas Samuel Kuhn, op. cit, p. 135.
[xiv] Je
décrirais ces raisons par la force de la sédimentation des pratiques
institutionnelles dans la chair des citoyens, le système des intérêts des
individus, des familles ou des groupes, enfin la peur de l'inconnu politique
qui suscite le sentiment de s'agripper à ce qui habituel, déjà là, etc.
[xv] Thomas Samuel Kuhn, Ibid.
[xvi] Thomas Samuel Kuhn, op. cit, p. 136.
[xvii] Il
faut signaler quelques efforts importants qui se font actuellement avec les
travaux de Carlo Avierl Célius, Alix René, Délide Joseph et en partie Lewis
Ampédus Clorméus, etc.
[xviii]
Hénock Trouillot, « La guerre de
l'indépendance d'Haïti. Les grands prêtres du vodou contre l'armée francaise »,
in Revista de Historia de América, Jul.-Dec., 1971, n° 72, pp. 259-327.
[xix]Pierre-Louis
restitue le cadre sociologique de la société haïtienne au lendemain de l'indépendance.
Par ailleurs, s'il s'arrête à montrer la tension qui existe entre les groupes,
il n'a pris en compte la prégnance de la diversité effective de la société
haïtienne soutenue par une logique officielle et des logiques souterraines avec
lesquelles l'État compose. « Les travaux
d'historiens, d'anthropologues, de juristes portant sur Haïti aboutissent à une
même conclusion : les idées, les croyances, les usages, les pratiques sociales
déterminés par le contexte colonial ne prédisposent guère les différents groupes sociaux-anciens
libres, mulâtres et noirs dits Créoles, nouveaux libres, dénommés Bossales- à
trouver des terrains d'accord pour parvenir à coexister dans le cadre d'une
société relativement intégrée.» Pierre-Louis Naud, « La juridicisation de la vie sociopolitique et économique en Haïti.
Enjeux et limites », Droit et société, 2007/1, n° 65, p. 127.
[xx] Cela
explique en grande partie les attitudes des membres des oppositions de s'en
prendre à la fonction du chef comme s'il s'agit de la dernière tout en désirant
occuper cette fonction. Plus haut, j'ai parlé des pratiques ambivalentes des
hommes politiques haïtiens qui se préoccupent de faire table rase des
institutions qu'ils veulent occuper. Cette ambivalence est clairement
constituée d'une double logique qui s'affronte dans la personne unique du
politicien qui veut et ne veut pas, selon son lieu d'énonciation, du pouvoir
central, du commun ou de la communauté. Tel est le piège anthropologique dans
lequel sont pris les militants politiques ainsi que leurs différents leaders.
[xxi]
Christine Chivallon, « Du territoire au
réseau. Comment penser l'identité antillaise », in Cahiers d'Études
Africaines, vol. 37, n° 148, 1997. La Caraïbe. Des îles au continent, p.
789.
[xxii]
Christine Chivallon, La diaspora noire
des Amériques. Expériences et théories à partir de la Caraïbe, p. 189-204.
[xxiii]
Francis Affergan, « Caraïbe. Logiques de
la diversité ou sociétés impossibles ? » in L'homme, n° 179, 2006,
p.224.
[xxiv] Par
associationnisme contigu j'entends le fait que les associations ne fédèrent pas
sous la coupe d'un pouvoir surplombant mais existe en contigüité tout en
établissant des relations de bon voisinage qu'exigent les nécessités du moment.
Source photo : HECTOR RETAMAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE, 7 février 2019.
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