Critique caribéenne de la raison capitaliste. Le« fantôme» de la société haïtienne et la philosophie comme exorcisme
«L'esprit qui veille en revenant
fera toujours
le reste. A travers la flamme ou
les cendres, mais comme
le tout autre, inévitablement.»
Jacques Derrida, De
l'esprit. Heidegger et la question, p. 184.
A partir
de la phénoménologie du spectre, à
partir d'une sorte de spectrologie,
telle qu'elle est élaborée dans la philosophie de Derrida[1], il est
possible de procéder à une nouvelle manière d'écrire l'histoire qui ne consiste
pas seulement à restituer des faits du passé ou mettre en intrigue des
expériences vécues collectives ou individuelles, même en prenant en compte tous
les paramètres de la mentalité ou des institutions. Il devient possible de
penser le passé, par l'écriture de l'histoire qui n'est pas nécessairement
celle de l'historien, dans ses promesses d'avenir, et sa réception ou sa
réécriture au présent, même s'il s'agira en fin de compte de comprendre que ce
présent, cette présence peine à advenir à elle-même du fait du passé qui la
hante. Ce nouveau travail d'historisation dont nous trouvons chez Reinhart
Kosselleck[2] une manière de se mettre
en forme par l'"espace d'expérience" et "l'horizon
d'attente", nous demande de comprendre comment du sens s'élabore dans les
pratiques passées en même temps que ces sens, autant de manifestations du sens
originel ou primordial, s'actualisent, accompagnent les présences, les formes
de présent, tout en accusant une dynamique de la répétition différentielle, qui
montre que le passé n'est jamais entièrement passé. Au contraire, de sa
passéité ou de sa passéification, le présent garde quelque chose de l'ordre du
fantôme, du revenant. Cette façon de penser le passé renvoie au spectre de
Derrida et montre à la pensée de l'émancipation les premiers pas à entreprendre
vers le long chemin de l'émancipation qui doit passer par l'exorcisation des
revenants, des fantômes, ceux de l'imaginaire collectif qui sont aussi ceux de
la philosophie. Il s'agit, en vue de nous diriger vers une philosophie de
l'émancipation, de commencer par l'exorcisation des lieux de la pensée. La
philosophie devient exorcisme.
La
spectrologie ainsi définie nous rend attentif d'abord à la prise en compte de
la revenance du passé sous la figure du fantôme, et la structure de ce spectre
qui prend la forme d'une longue rêverie anthropologique à partir de laquelle le
réel économique, politique, social, historique trouve sa concrétude. Le premier
travail auquel doit s'adonner cet exorcisme est celui de suivre les modes de
retour du revenant ou des revenants, identifier ses gestes ou indices pour
mieux savoir quelle litanie d'actions mises en place.
Cette
nouvelle écriture de l'histoire, prenant sa source dans une phénoménologie de
l'imaginaire, abandonne l'écriture de l'histoire en termes grands moments
événementiels d'où émergent des individus dits historiques qui produisent des
irruptions momentanées auxquelles s'accrochent généralement les historiens.
L'événement, qui est devenu une thématique très sollicitée par
l'historiographie actuelle[3], propose
toutefois, si nous prenons en compte la pensée événementiale de Claude Romano[4] puisqu'il ouvre des
possibles ignorés, des ressources inexplorées jusqu'à son avènement. Vu qu'il
inaugure un monde nouveau, il renferme des perspectives qui sont susceptibles
de libérer le présent des entraves d'un passé déterminateur.
Là où la
pensée du spectre se révèle d'une grande importance pour l'historiographie
consiste à maintenir la solidarité entre passé et à -venir dans le gond du
présent. Elle souligne ainsi le nœud thématique de la déconstruction
derridienne-, la hantise dans laquelle le présent est entravé, qui indique
qu'il est impossible de procéder à une transparence entière à soi, que
l'altérité nous a déjà affectés et altérés contre la prétention de la
philosophie du sujet, style de pensée de l'autofondation comme condition de la
présence et de l'être. Toute forme de présence devient présence du passé,
présence du passé comme fantôme ou revenant et forme de présence au passé. Il
ne faut pas voir dans cette revenance une détermination, une simple structure
de conditionnement, sorte de carcan anthropologique mis en place par la
sédimentation des couches de l'historicité ou de la temporalité. Comme dans Hamlet, longuement et magistralement
analysé par Derrida, le roi qui revient ne
détermine pas les présences mais participe à la densification de ce présent,
dans son travail de production de sens, lequel sens ne peut faire, sans
s'annuler ou se vider, l'économie de la présence du revenant. Si le revenant
revient inévitablement, la seule question qui importe consiste à nous demander:
comment rendre compte de sa présence dans notre présence ou notre présent?
Quels sont les revenants qui hantent la présence haïtienne en la dépossédant
d'elle-même du fait même qu'ils la possèdent de hantise ?
Par ce
geste méthodologique, il n'est plus question de pendre le passé comme une
totalité isolée, de le penser comme révolu, c'est-à-dire comme ce flux
expérientiel entièrement accompli. Paul Ricœur a montré que le passé n'est pas
aussi dur qu'on a l'habitude de le penser, puisqu'il est possible d'aller au
passé et de le reconstituer[5]. La
psychanalyse autorise, dans cette perspective, cette orientation de lecture qui
fait du passé une sorte de pâte à modeler, qui est appelée ainsi à prendre les
formes que lui impriment les préoccupations présentes et les horizons
d'attente. Avec la pensée spectrologique de Derrida, nous tentons d'ajouter à
cette manière de penser l'histoire qui ne tient pas seulement de la mollesse ou
de la souplesse du passé, mais d'expliquer d'une part que cette souplesse
résulte du caractère phénomélogiquement ouvert et tendu de la temporalité qui
reste le fond du passé ou de l'histoire. L'ouverture que nous mentionnons se
manifeste par l'aspect vectoriel de la temporalité et du temps, qui se dirige
toujours vers un au-delà de lui-même, d'où l'existence de la promesse, de ce
qui advient, de l'à-venir. Mais l'avenir est déjà contenu dans le passé qui
l'annonce sans le prédire, qui le fait être sans le déterminer. Nous constatons
qu'une tension[6], concept aussi
présent chez Derrida s’inspirant de la phénoménologie de Husserl, lorsque
celui-ci s'attelant au problème du temps de la conscience ou de la conscience
du temps, montre la solidarité qui lie rétention
et protention.
Du point
de vue de l'historicité, cette tension fondamentale prend la forme d'une
esthétique et d'une herméneutique de la réception où se joue la relation du
passé au futur comme relation de solidarité tendue, du fait que cette
solidarité est aussi dé-solidarité, chiasme du passé et du futur et écart, qui,
en y installant la distance, annule toute transparence réciproque. Nous
proposons un fil directeur à partir de cette solidarité tendue, de cette
tension solidaire, qui est plus qu'une dialectique dont le trait
caractéristique est qu'elle se situe au-delà des antithèses entre passé et
prend. Le spectre ou le revenant devient la figure matérialisée
de cette tension, il est le passé qui hante les temps à-venir au présent.
Il faut
savoir de quoi notre histoire est hantée - ce qui est déjà une philosophie et
que nous définissons par l'acte d'exorciser-, pour procéder à la réécriture
philosophique de l'expérience haïtienne, voire caribéenne ou postesclavagiste.
Cette écriture ne pourra s'empêcher de prendre, à son premier stade, la forme
de l'exorcisation par le travail de conceptualisation.
Capitalisme et esclavage. Le profit
de l'animalisation.
Du point de vue des Caraïbes et
particulièrement d'Haïti, le capitalisme ne peut pas être compris seulement à
partir de la plus-value ou du profit. Certainement, on peut observer sa
dynamique interne propre qui se manifeste dans les systèmes d'échange
transnationaux, et comprendre du même coup comment l'esclavage moderne lui est
intrinsèque, et l'esclave sa figure archétypale concernant les formes de
devenir dépossédé et animal de l'humain aux prises avec le dispositif de
l'économie du profit. En plus qu'il sera important de restituer cet aspect
oublié du capitalisme, le lier à l'esclavage, et chemin faisant, il faut
montrer les modes de devenir de l'homme dans l'esclavage. Ce double mouvement
doit permettre de recomposer le dispositif capitalistique dans son versant
anthropologique qu'on a généralement négligé du fait de l'importance accordée à
l'économique, aux structures économiques de fonctionnement et d'exploitation.
Deux mouvements permettront de reconstituer
cette compréhension anthropologique et surprendre le soubassement économique de
l'invention de l'anthropologie : suivre les conditions d'émergence du
capitalisme, en proposer un traitement phénoménologique, ensuite, mettre à jour
le mode d'opération, depuis la traite négrière à l'expérience plantationnaire
constituée essentiellement de relations sociales saisies par les passions les
plus indomptables mettant face à face la chair vive des colons et des esclaves
dans une ambiance sociale de violence inouïe.
Ce double mouvement conduit en conséquence à
une dynamique sociale, économique et politique d'animalisation, de haine
mutuelle, que nous désignons par haine de soi, et que nous entendons dans le
sens du sentiment impuissant et paradoxal de se vivre et de vivre les autres
selon l'éthique du respect et de la dignité humaine qui interdit toute tentative
de réduire l'humain en chose. Il faudra reprendre la question par son début
pour saisir le sens anthropologique de la haine de soi.
-
Capitalisme: ascétisme, profit et aliénation
L'histoire théologique du capitalisme offre
une possibilité théorique et conceptuelle importante par
quoi nous pouvons articuler ascétisme et aliénation tout en mettant l'accent
sur le profit comme l’enjeu économique d'une anthropologie mystique de la
purification. Par
histoire théologique, nous entendons, l'interprétation de l'histoire comme lieu
de la manifestation des relations de l'homme avec Dieu dans la perspective du
salut. Elle concerne toutes les pratiques humaines comme forme d'avènement d'un
ordre de pureté divine.
Le capitalisme étant lié, dans la perspective
de Weber, au puritanisme suppose une vision du monde en déchéance, et de
l'homme déchu depuis le péché originel, qui mérite d'être colmaté au profit du
salut par le travail. Plusieurs déterminations anthropologico-théologiques
découlent de cette mythologie, qui nourrit une vision éthique et théologique du
monde. Premièrement, le travail prend le sens des modalités d'humanisation de
la nature et de divinisation de l'homme. Malgré, les conceptions sécularisées
de Hegel et Marx du travail, il reste constamment la condition par quoi l'homme
doit sortir du règne de la nature, du règne de l'animalité et rendre la nature
elle-meme plus sympathique ou moins
hostile. Le salut devient l'avènement du règne de la transparence de l'ordre
divin et humain. C'est donc, en fin de compte, l'institution d'un ordre de
pureté où l'on devient transparent avec soi-même dans Dieu. Deuxièmement, la
pureté qui est aussi identification à Dieu ou, plus clairement, contemplation
de Dieu, conduit à l'existence du désir comme désir de Dieu, désir qui,
louvoyant dans la réalité abyssale de Dieu, se perd dans une quête insatiable
de satisfaction, appelé le bonheur. Donc, le travail porté par le désir de
Dieu, devient dispositif d'accumulation et de transformation qui nie les
individualités au nom de l'abstraction, de Dieu et du bonheur. En même temps,
la nature vide du désir donne lieu aussi à la misère de la satisfaction qui,
étant horizon du travail, se trouve reportée à mesure que l'on s'en approche.
Le désir ici que nous désignons de Dieu prend la forme du profit dans le
domaine économique d'accumulation, de conquête dans le domaine de la politique.
La politique économique prend donc la forme du mercantilisme entendu comme
forme d'accumulation-remplissement de soi: augmenter sa grandeur, augmenter sa
puissance, c'est se rapprocher de l'ordre divin. Donc, la théologie chrétienne,
forgée à partir de la mythologie fondamentale du péché originel et de la
rédemption et l'histoire qu'elle nourrit conduit à la politique économique de
l'accumulation et du bonheur dont la grande conséquence est la négation de
l'altérité non chrétienne posée par ce fait dans l'ordre de la nature, en
conséquence dans l'ordre de l'exploitation, de l'aliénation. Depuis la
théologie, depuis la politique coloniale et l'anthropologie naissante du 17e
siècle, depuis l'économie qui sous-tend cette politique, l'altérité se construit sur le mode de
l'étrange(re)té, de réalité à apprivoiser, à intégrer de gré ou de force dans
l'ordre divin en marche dans le christianisme occidental. Nous avons donc ici
le nœud de l'imaginaire occidental du capitalisme qui donne sens aux relations
à la nature et à toutes formes d'altérités radicales considérées comme des
réalités antithétiques à Dieu. Ces réalités sont souvent comprises dans les
termes du diabolique, du différent radical, du non-être ou de l'illusion.
La théologie de l'histoire de l'occident
comprenant le grand cadre narratif de la chute et de la rédemption et de
l'institution de l'altérite mauvaise produit un ordre dual du monde, sans lequel
aucune jouissance n'est possible, aucune liberté comme déploiement d'un régime
de pureté n'est possible. C'est au regard de cette pureté-identité que
l'altérité se pense comme moindre être, face à laquelle on monte la machine de
guerre d'altération en vue de faire advenir un ordre de transparence du monde
et de soi. Tel est le vœu de Hegel, tel est le sens de sa philosophie de
l'histoire, tel est le cadre imaginaire de sa géographie philosophie.
Si ce que nous avons restitué permet de
saisir le sens du capitalisme dans sa constitution intrinsèquement liée aux
sociétés européennes en soulignant qu'une certaine expérience religieuse et
théologique serait à l'origine de cette dynamique économique et politique du
social, il faut aussi remarquer, sans souci de provocation, que l'ascétisme
dans son déploiement produit la culture du profit et de l'aliénation.
Le sens profond de l'ascétisme est le souci
de soi dont l'horizon consiste à instituer un ordre de pureté et de maîtrise de
soi pour mieux gouverner les autres. Autrement dit, le piétisme qui prend sa
tradition dans les préoccupations de ce que les historiens du christianisme
appellent le christianisme primitif où le christianisme est fortement marqué
par toutes les "techniques de soi", consiste à produire un ordre de
piété, de pureté et d'unité de/à soi, évidemment pensé sous le modèle de Dieu,
afin d'une part d'assurer son salut et d’autre part celui des autres en leur
infligeant le même travail de gouvernement ou de maîtrise. Nourri de cette
vision éthique du monde, le capitalisme déploie une ferveur en direction de la
maîtrise du monde comprise comme signe de sa propre maîtrise et de celle du
monde. Dès lors, il n'y aurait plus d'extériorité à maîtriser, de corps, de femmes, d'autres peuples tous
saisis à partir de la visière de la maîtrise de soi; l'ordre du monde, l'ordre
du monde occidental devient le lieu de réalisation du royaume de liberté.
Le paradoxe de cette entreprise résulte de
son propre élan qui accuse une dualité au sein de l'éthique de la maîtrise de
soi et produit, en fin de compte, des monstruosités politico-historiques
(l'esclavage, la colonisation) et anthropologiques (les sociétés postesclavagistes,
postcolonialistes rongées par le racisme). En quoi consiste ce paradoxe ? Nous le formulons en ces termes : la passion
qu'il faut maîtriser pour faire advenir un ordre de pureté, de transparence à
soi, se déchaîne contre elle-même tout en étant non-affectée au fond. En
conséquence, s'en dégagent la structure anthropologique fondamentale du
capitalisme, et la force créatrice ou perversive de cette anthropologie à
l'oeuvre dans les pratiques d'exploitation.
Un autre élément à ajouter à ce complexe
concerne le mode de relation à l'autre, défini comme absolument différent, que
produit cette éthique de soi. Les historiens ont montré que la relation à
l'autre s'est établie sous le label du salut et de la civilisation, autant de
figures pour traduire l'approche du règne de pureté et d'unité, celui de Dieu.
Ils ont aussi montré que cette relation s'est vite transformée en
anthropophagie du fait que le souci de pureté et d'unité comporte un souci
d'effacement des différences, et mobilise une propension à l'assimilation, qui
prend sa forme concrète dans l’«extermination» des Indiens. Cette politique de
l'assimilation et du raturage des différences suscite des pratiques politiques
et économiques les plus horribles. Cet aspect, celui d'un capitalisme charnier,
celui d'une modernité obituaire, n'a pas été suffisamment mis en relief. En
réalité, l'éthique de soi donne lieu à la fois à une culture de la pureté et de
la puanteur dans le même élan.
Ce cadre d'interprétation fournit à
l'exploitation esclavagiste du capitalisme son sens. Il est une anthropologie
fondamentale de l'invention de la science anthropologique dont la fonction est
d'inventer, au service de l'économie d'exploitation et d'enrichissement, une
altérité asservie au moyen de la matérialité du dispositif d'exploitation et
surtout du discours de légitimation qui produit un partage des eaux dans
l'ordre social, éthique, logique et esthétique. Ce cadre propose une
herméneutique de la culture globale de l'Europe chrétienne.
De l'invention de l'autre, le capitalisme de
la modernité invente les charniers: les cales des bateaux, les plantations ou les
habitations.
En dernière instance, l'éthique de soi qui a
inspiré les différentes techniques de soi en vue de la maîtrise de soi et de
l'autre conduit à une économie de la jouissance de l'infect au nom de la
propr(ié)té, qui est la modalité primordiale du souci de soi : se posséder,
devenir propriétaire de soi-même. Il s'agit tout autour d'une politique de
l'animalisation. Dans ce cas, les pratiques reifiantes du capitalisme ou de la
modernité, ne datent pas de la révolution industrielle, mais de la révolution
plantationnaire où l'humanité a connu les pratiques d'usure, de raturage les
plus perfectionnées, qui ont donné naissance à des sociétés d'humanité usée et
fatiguée. C'est le sens qu'il faut attribuer à Saint-Domingue, expérience
génésique de la société haïtienne.
Toutefois,
nous pouvons dès ce moment remarquer qu'un premier signalement du spectre se
dévoile. Le spectre prend la forme d'une culture de l'autre comme différent, des
techniques d'animalisation de la
différence par la mise en place des techniques de conversion au nom de
l'humanité chrétienne. Le spectre est amphibologique. Il est procès d'humanisation
par animalisation, procès de civilisation par la puanteur et le charnier. Ce qui
nous porte à constater, en citant Shakespeare, qu'il y a quelque chose de
pourri dans la clarté éblouissante de la modernité,
l'esclavage.
Le Négrier et la plantation, deux
laboratoires des pratiques animalisantes de la modernité
L'humanité
asservie, s'il est encore pertinent de lier la notion d'humanité et celle de
servitude, a pris forme dans les trois temps de la production capitaliste de la
richesse: la captivité ou rapt, la traversée ou la gestation du corps servile,
la plantation ou l'usure ou la culture du corps servile.
a)
Les négriers
Ce fut la
manipulation dans le sens littéral du mot, la mise sous l'épreuve de la main,
instrument d'évaluation de l'endurance physique. Depuis les tribus africaines,
l'institution d'un critérium établi sur la musculature constitue le nœud de
contact avec les Africains: «quelques
hommes d'équipage me tournèrent et me retournèrent en tous sens pour voir si
j'étais solide[7]». Ils sont livrés à des performances physiques
pour montrer leur bonne forme musculaire. Ils sont estampés.
«Après
l'humiliation de l'examen par le chirurgien,
les esclaves étaient «estampés», c'est-à-dire marqués dans leur chair par un
signe distinctif, puis amenés jusqu'au navire dans des chaloupes. Nus et
entravés par différents types de fers, certains restaient plusieurs semaines,
voire plusieurs mois dans l'entrepôt du navire.[8]»
Dès lors, ils
ne sont plus eux-mêmes, ils sont biens meubles de ceux dont ils portent
l'estampe. Ils sont entassés dans des cales qui deviennent au jour le jour
puanteur, pestilence. Comment devenir homme dans ce dispositif ? Tout dans la
traversée concourt à produire une humanité meurtrie, amoindrie. La puanteur, la
culture excrémentielle est une survivance de notre animalité.
«La puanteur
de la cale, pendant notre mouillage à la côte, était si intolérablement
répugnante qu'il était dangereux d'y demeurer tant soit peu, et plusieurs
d'entre nous avaient été autorisés à demeurer sur le pont en quête d'air pur;
mas à présent que toute la cargaison du
navire y était confinée, l'odeur devenait absolument pestilentielle. L'exigüité
du lieu et la chaleur du climat, ajoutées à la densité de population du bateau,
si tassée qui lestait à peine à chacun de quoi se retourner, nous coupaient la
respiration. En conséquence de quoi l'on transpirait abondamment, si bien que
l'air devint bientôt irrespirable, à force de pestilences diverses, et provoqua
des maladies parmi les esclaves dont beaucoup moururent, victimes de l'avarice
irréfléchie. (…) Cette situation misérable était encore aggravée par
l'humiliation des chaines, qui devenaient insupportables, et par l'état
repoussant des lieux d'aisance où les enfants tombaient souvent, manquant y
suffoquer. Les cris aigus des femmes et les plaintes des mourants concouraient
à créer un spectacle dune horreur presque inconcevable.[9]»
Soumettre quelqu’un
à cette ambiance pestilentielle, écœurante, fétide ne peut que produire une
ambivalence anthropologique où la dignité que traduit le sentiment d'être soi
s’étiole face à la prégnance du dégoût d'être, de l'obsolescence de soi réduit
à la puanteur de la cale du bateau. La traversée est une machine infecte à
produire des êtres affectés de pourriture, de matière fécale et infectés d'un
déficit d'être.
«Le pont,
c'est-à-dire le plancher de leur chambre, était tellement couvert d'odeurs
putrides et de sang, conséquence du flux dont ils étaient attaqués, qu'en y
entrant on aurait pu imaginer être dans une tuerie. Il n'est pas possible à
l'esprit humain d'imaginer un tableau plus horrible et plus dégoutant de l'état
où ces êtres misérables se trouvaient alors.[10]»
C'est
l'affectif, le psychologique, le moral qu'on cherche à enrayer afin de laisser
venir le corps nu, le corps vidé de toute estime de soi, de tout sens de
l'honneur ou de la dignité afin que l'asthénie psychologique offre les
conditions, par la docilité, de l'exploitation du corps anémié du sentiment
d'être.
A côté de ce
corps réduit à la simple force de travail, à la musculature, il y a les
négriers, faiseurs de corps et producteurs de toutes les formes de violence,
tueurs, violeurs, dominateurs, etc. Eux aussi sont happés par le dispositif
pour en devenir l'instrument, les bras armés. Bourreaux d'un dispositif de
production de corps asservis et exploités jusqu'à ce que mort s'en suive.
Pourtant, ce sont des jouisseurs. Jouisseurs de leur position dans la
hiérarchie, jouisseurs de leur supériorité par la race, par la place. Au fond,
l'économie de la race est une arithmétique de la diversité des positions dans
l'espèce humaine. Le négrier est une fournaise où l'on produit par combustion
de haute violence des corps dociles, des âmes vidées du sentiment de l'humain.
Un grand
paradoxe se dessine, qui se révélera le spectre essentiel de la dynamique
socio-historique et politique des colonies esclavagistes: face à la production
du corps servile un corps se réclamant de la dignité, du respect de soi se
dresse violent, en furie, oublie en retour que celui qui se trouve en
face, bourreau d'occasion, devrait
inspirer respect. La structure de la lutte pour la liberté face au dispositif
asservissant conduit à la même tuerie, au même raturage de l'humanité. Les
plantations sont dans un espace plus étendu et un temps plus long que ce qui
s'est institué sur les bateaux négriers: tentative répétée de raturer
l'humanité au nom de la liberté. Dans les deux cas, des rapports animalisants
portant la mort comme horizon du social et du politique conduisent à la
création d'une humanité féroce, sanguinaire, sorte d'animalité parfaite qui
produit la violence pour répondre à la violence: les plantations constituent
une machine à animaliser.
b) Des
plantations. Continuer l'animalisation
Les
plantations, véritables laboratoires où le souci de civiliser, d'humaniser
produit de part et d'autre des hommes féroces dont l'idéal se construit dans
l'effacement mutuel d'abord une condition de travail inhumaine ou
déshumanisante. L'esclave des champs eut à passer environ douze heures dans les
champs de canne durant la période des récoltes. Parfois, ils eurent à
«veiller», c'est-à-dire à passer une partie de la nuit, «après souper».
« C'est le travail à quoi on s'occupe le soi
après le souper, ce qu'on appelle la veillée, travail long et ennuyeux car les
maitres ou les commandeurs ne donnent pas moins dune douzaine de gaulettes
chargées de plantes à enjamber à chaque serviteur ou esclave qui, quelque
habile qu'il puisse être ne saurait avoir fini sa tâche que longtemps après
minuit, de manière qu'il ne lui reste jamais qu'environ cinq heures pour
reposer, supposé même qu'ils ne soient obligés une partie de ce temps pour
aller cherche des crabes, des grenouilles ou autre chose pour augmenter le peu
de nourriture qu'on leur donne. (…) On ne se sert d'aucun outil pour ce
travail; les ongles et les dents doivent faire office de couteaux ou de
ciseaux.[11]»
Oreilles tranchées et doigts coupés, amputation
de membres, mort à petit feu, tel est l'horizon de la liberté de l'esclave qui
met à mal le système en prenant la fuite. Dans le système colonial
esclavagiste, la liberté de l'esclave noir a unique horizon la maltraitance, la
mort, le non-être
L'esclave
fugitif qui aura été en fuite pendant un mois
compter du jour où son maître l'aura dénoncé en justice, aura les
oreilles coupées et sera marquée d’une fleur de lys sur une épaule; sil
récidive un autre mois à compter du jour de sa dénonciation il aura le jarret
coupé et il sera marqué dune fleur de lys sur l'autre épaule et le troisième il
sera mis à mort.»
Face à ce dispositif impitoyable, cruel et
criminel qui fait miroiter la mort à l'esclave, celui-ci oppose
l'empoisonnement, l'avortement (afin de refuser le renouvellement de la
disponibilité du corps- musculature, donc du système d'exploitation), le
marronnage, la mise à sac des habitations. Partout, l'horizon de l'humanité
s'embourbe dans la culture de la haine réciproque[12].
Certainement, il faut reconnaître qu'en plus de cette peur des colons face à
l'emprisonnement, ils jouissent de leur couleur, de leur avoir et de leur
civilisation. En dépit de la colère, de l'indignation, de la souffrance
certains esclaves jouissent de leur place, jouissent de leur accoutrement, de
leur accommodement. Donc, ils nourrissent un souci d'accommodement face à un
pouvoir qui ne laisse que la mort comme dernière espérance. Face à la mort
l'intrépidité semble devenir le jeu même de la mort. Sans qu'elle soit un acte
gratuit, on se pose généralement la question de son sens. A quoi vous a servi
votre indépendance, répliquent souvent des voix diverses et hétérogènes aux
Haïtiens, comme si dire non n'est pas en même temps, un dire oui. Albert Camus
a expliqué cette solidarité entre le non et le oui de l'homme révolté[13].
Dire non
c'est dire oui à quelque chose d'autre. Et ce n'est pas rien. Il faut prendre
le non comme indice, comme
indication. Vers quelle autre réalité le non est-il oui ? Cette question permet
de suivre l'idéalité du non, son oui. Le oui du non des révoltés esclaves de
Saint-Domingue, partout où ils se sont insurgés dans les Caraïbes, Guadeloupe,
Martinique, Jamaïque, etc., est
l'affirmation de leur élan à la vie digne, à l'humanité restaurée, en rupture aux
conditions des jouissances infectes, nauséeuses du capitalisme prétendument
piétiste ou ascétiste de la modernité asservissante d'altérités.
Il a fallu le
non des révoltés de Saint Domingue pour instituer une nouvelle catégorie de
l'affirmation de soi comme choix de la dignité active contre toute
dignification asservissante. La catégorie est celle de l'action déjà pensée,
son idéalité est politique et éthique.
Il est temps
de sérier cette tentative de compréhension de la dynamique anthropologique et historique
des sociétés postesclavagistes, et surtout de la société haïtienne.
D'abord,
disons que par une alliance fondamentale la modernité et le capitalisme ont
inventé une vision de l'humanité comme souci de pureté et d'unité. Cette vision
s'est élaborée dans les bornes des pratiques mystiques de l'immatérialité, de
la spiritualité du principe primordial de la nature.
Ensuite, du
point de vue de la pratique, cette philosophie mysthico-théologique s'est
constituée en paradigme de l'économie comme jouissances des altérités, de leur
altération, à la politique comme expropriation et mise oeuvre du dispositif de
domination des altérités non européennes et non-chrétiennes et à
l'anthropologie comme systématique de la justification de l'infériorité des
races non "eurochrétiennes". Ici, jouissance, asservissement se
conjuguent en fin de compte en politique
de la production de corps puants, de villes -charnier ou déchetteries, de vies
inutiles. Bref, de véritables «déserts» de «désolation».
Enfin, contre
ce dispositif animalisant, dans une dynamique de grande ambivalence, la colère
pose la dignité humaine, mais se trouve heurtée par elle-même et par le spectre de l'animalisation. Tels sont
les trois spectres de la société haïtienne dont nous avons esquissé le portrait
sans restituer tous les halos qui en représentent autant de variantes ou de
variations. Ces trois spectres mis à jour ne sont finalement que la
manifestation générique du spectre fondamental, la mise à mort comme modalité
de jouissance dans une cosmologie de la diabolisation de l'altérité.
Toutefois,
ces trois spectres que la philosophie parvient à mettre à jour en vue de les
exorciser, c'est-à-dire de nous prémunir de leurs effets délétères et
mortifères, ont suscité une suspicion à l'égard de la philosophie. Ils ont
permis de surprendre que la philosophie aussi est habitée par des spectres qui
hantent sa vocation émancipatrice, du moins qui montrent que la visée
émancipatrice de la philosophie se fonde soit sur une naïveté surprenante, du
fait que le propre de la philosophie est de sortir de la naïveté de la minorité
pour cultiver la lucidité et la perspicacité de la majorité. Or, partant de
l'idée de la liberté comme condition de la vie humaine digne sans prendre en
compte le corrélat de la servitude, c'est soit occulter une realité pour mieux
enjoliver une autre, ou soit que la philosophie s'est aveuglée sur l'expérience
de la modernité où la liberté est incapable de se passer de la servitude. Le
grand spectre de la philosophie moderne est de penser une subjectivité
autofondatrice et libre par cette capacité à s'autofonder en oubliant, non le
monde ou l'altérité comme condition de cet avènement du sujet, mais la
servitude comme condition de la non-dépendance à la nature et la possibilité du
temps libre, le loisir pour s'occuper de soi et des affaires de la cité.
Cette même
question de la liberté ne se pose pas de la même manière dans les sociétés
postesclavagistes, dans ces sociétés qui
sont faites de l'asservissement. Si depuis la modernité européenne la question
de la liberté prend la forme de participation aux affaires publiques comme
signe de la majorité, en ce qu'on devient partie prenante de l'élaboration des
lois, la question se pose autrement dans les sociétés esclavagistes où il est
avant tout important de sortir des fers et du dispositif minorant de la
domination raciste. Donc, la liberté n'est plus une position, mais une
conquête. On arrive à la liberté par la libération, qui traduit le chemin à
parcourir pour instituer un ordre de majorité exigeant la sortie du discours de
l'autre, la conquête de soi contre toutes les formes de contamination ou d'affectation qui fait que l'espace et le temps
postesclavagistes sont toujours hantés de discours de l'autre, du colon, du
maître ou de celui qui tenait la maîtrise.
Donc, une
philosophie de la liberté depuis les sociétés postesclavagistes est appelée à
déprendre la philosophie occidentale du spectre de l'autofondation et de la
transparence en soulignant que l'expérience de la liberté comme autofondation
s'est établie sur l'esclavage, sur la domination outrancière, particulièrement
sur le partage de l'humanité entre ceux qui ont droit au loisir et ceux qui
doivent travailler jusqu'à l'épuisement au profit dune postulation
mythologico-métaphysique: la supériorité de l'homme blanc.
Les spectres de la société haïtienne
Le spectre a
une composition ontologique diffuse, sa réalité sans contour précis le rend
imperceptible, mais vivace dans sa déterminité et son effectivité. Il est, il
n'est pas; sans devenir. Il occupe un statut ontologique qui se situe entre le
visible et l'invisible, entre le présent et le passé, entre la partance et la
revenance, qui indique son mode d'insistance dans le flou fantomatique du
revenant. Sa figure permet de mettre le passé en présence. Le mobiliser pour
interpréter la dynamique historique globale de la société haïtienne, c'est
tenter avant tout de montrer la forme d'historicité de la société haïtienne et
son noyau anthropologico-ontologique. Nous en recensons un nombre limité, lié
fondamentalement à la relation à soi et à autrui (conditions des relations au
monde qui déterminent le sens du commun, où se jouent les questions économiques
et politique, et la question du lien social).
De la relation à soi. L'usure de soi,
affectivité affectée. Le spectre de la zombification
L'histoire de
la société haïtienne propose une constante dans la mise en scène du pouvoir qui
se déploie comme machine à produire des êtres insignifiants, des êtres de trop.
En effet, l'histoire politique haïtienne montre que la société haïtienne se
compose d'une part d'un lieu de civilisation habité par une frange qui se veut
porteuse de légitimation et d'autre part, d'un lieu de barbarie, qui
renfermerait toutes les pratiques décriées. Cette division de la société par
l'imaginaire de la civilisation et de la barbarie génère une dynamique qui
oriente la dualité accusée vers des pratiques de l'animalisation, que nous
entendons dans le sens de l'usure d'humanité vers des formes infrahumaines
d'existence.
Nous considérons
cette répétition différentielle comme la manifestation d'une expérience
primordiale qui a raturé, par souci de civilisation, le sens de l'humain et
génère une vie sociopolitique soutenue par la fatigue et la dépression, qui
produit actuellement un véritable dispositif du ridicule où le tragicomique
devient la structure phénoménologique des comportements et des pratiques
d'insignifiance, d'asthénie psychologique. Aujourd'hui, cette dynamique d'usure
semble atteindre, dans l'animalisation, un fond abyssal qui nous force à nous
demander s'il est encore possible d'aller au plus profond de la misère et de la
déchéance de l'humain.
Le spectre de
la civilisation et de l'animalisation propose un cadre de pratique et de pensée
de la dérision, du ridicule, du rire loufoque, qui montre à quel point nous
sommes vidés du sens de la dignité, du souci de bien vivre et non de vivre
seulement. Enfin, le spectre du procès de civilisation et d'animalisation a
conduit au choix du bios au détriment
du zoé, du vivre tout simplement au
style de l'animal au vivre selon un idéal de bien-être, de l'institution d'un
ordre d'humanité.
Notre
imaginaire de la zombification,
ultime création du capitalisme et de la modernité asservissante, témoigne de la
prégnance de cette dynamique biologisante de la vie collective réduite au
confinement du vivre collectif aux besoins primaires. Et cette animalisation
doit être entendue dans le sens du «zombi zoomorphe», de ce zombi métamorphosé
en animal, qui devient bête de somme ou bétail pour consommation. Disons plus
clairement, une ressource anthropologique disponible dans l'imaginaire du
pouvoir haïtien circulant dans toutes les sphères de la société sous des formes
diverses, devient les conditions de mise en œuvre de pratiques animalisantes[14]. C'est là la
véritable manifestation du spectre de l’animalisation, le zombi, qui représente
ce que la haine peut faire de l'humanité.
Ce nœud
imaginaire devient le cadre anthropologique de compréhension des politiques
économiques d'appauvrissement et d'expropriation et appropriation du corps, des
politiques d'asservissement et de confiscation du corps[15], qui
composent un complexe social-politique de production de l'insignifiance, de
l'homme jetable et vermoulé de désespoir.
Enfin, ce
spectre se présente à nous dans nos pratiques de zombification, manifeste un halo dont la visibilité se donne dans
le difficile avènement du commun ou de la commun-auté. Le lien qui nous ferait
bondir d'un seul élan contre l'ennemi extérieur manque et se diffracte dans des
poches de relations plus ou moins resserrées sur les conditions politiques,
économiques. La fissure originelle creusée au moyen du discours anthropologique
de la race, prenant forme dans les discriminations de la couleur de la peau
comme marqueur de places, de privilèges ou distinctions crée un dedans et un
dehors qui mine la possibilité d'une unité ou cohésion même imaginaire. S'il y
a communauté, elle n'est que carnavalesque, elle s'effectue dans un tohu bohu où les affectivités, le
sentiment d'être ensemble ou de partager du sens, d'expériences vécues se
noient dans des vacarmes qui représentent autant de tentatives de mettre autrui
hors jeu en le rendant inaudible et invisible, des pratiques d'ensorcellement
qui visent à enlever les capacités d'indignation, les capacités d'être à
l'autre.
Une sorte d'effort dans le mal paradoxalement
devient la trame qui nourrit le grand spectre de la haine de soi et nous plonge
à l'extrême fond de la décrépitude morale où le sens de l'humain, condition de
toute éthicité ou moralité, se perd dans les pratiques avilissantes des procès
d'animalisation et des passions de distinction. Toutes ces considérations
anthropologico -historiques portent à soutenir que quelque chose de pourrissant
travaille la société haïtienne. Cela inquiète ! Et nous avons le devoir de nous
inquiéter pour ouvrir de nouvelles brèches vers la remontée, vers l'humain et l'éthicité.
Dr Edelyn DORISMOND
Professeur de
Philosophie-Campus Henry Christophe de Limonade-CHCL-UEH
Directeur de Programme
au Collège International de Philosophie-Paris
Directeur du Comité Scientifique du Centre d’Appui à l’Education
à la Citoyenneté (CAEC)
Responsable de l'Axe 2
de LADIREP
[1] Toute
l'oeuvre de Jacques Derrida - depuis sa thèse de doctorat, Le problème de la genèse dans la philosophie de Husserl, Paris,
PUF,1990, au titre explicite, Spectres de Marx, Galilée, Paris, 1993,
en passant par Signes et introduction à
l'origine de la géométrie- peut être lue comme une longue méditation sur
les revenants, c'est-à-dire sur les diverses figures de hantise du présent par
le passé qui montre combien la présence à soi est impossible, puisque quelque
chose revenant hante constamment la transparence à soi qui semble caractériser
la présence. Cette intuition de
départ constitue le fond théorique et conceptuel de premier ordre de la
déconstruction, toujours en situation d'explicitation, qui s'intéresse à
montrer comment l'origine, forme fondamentale de la présence et de la
transparence à soi, est oblitérée
dans les formes structurantes du passé.
[2]
Reinhart Koselleck, le futur passé.
Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, 1979.
[3] François
Dosse, Renaissance de l'événement. Un défi
pour l'historien: entre sphinx et phénix, Paris, PUF, 2010.
[4]
Claude Romano, l'événement et le temps, Paris,
PUF, 2012.
[5] Paul
Ricoeur, «La marque du passé», Revue de métaphysique
et de morale, janvier-mars 1998, n° 1 pp. 7-31.
[6] Bien
que présente de manière implicite chez tous les phénoménologues qui ont pris
leur envol philosophique depuis la phénoménologie du temps ou de la synthèse
passive chez Husserl, la problématique de la tension est particulièrement mise
en relief par Anne Montavon, La passivité dans la phénoménologie de
Husserl, Paris, PUF, 1999.
[7] Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard, Etre esclave. Afrique-Amériques,
XVe-XIXe siècle, Paris, Editions La
Découverte, 2013, p.109.
[9] Oloudah Equiano, La véridique histoire par lui-même d'Olaudah Equiano, africain, esclave
aux Caraïbes, home libre, cité par Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric
Mesnard , Op. cit, p.111.
[11] Gabriel Debien, Les esclaves aux Antilles françaises (XVIIe-XVIIIe
siècles), Société d'Histoire de la Guadeloupe, 1974, 150.
[12] Cette
haine prend la forme dans les colonies de la peur généralisée que le colon
éprouve face aux pratiques supposées de sorcellerie des esclaves. A la
quatrième de couverture du livre de Caroline Oudin-Bastide qui deviendra
classique, on dresse un tableau saisissant de la psychose de peur qui envahit
les âmes et les corps dans les colonies françaises: «Aux XVIIIe et XIXe siècles, un étrange fléau
affole les colons des Antilles françaises: le «poison». Ce terme est souvent
associé- assimilé- à celui de «maléfices», les «empoisonneurs» étant d’ailleurs
fréquemment dénoncés comme «sorciers». Les imputations de crime
d’empoisonnement participent à un système de croyances magiques qui amène les
maitres à prêter aux nègres une extraordinaire force de nuisance fondée sur une
science botanique occulte associée à d’effrayants pouvoirs.
L’effroi
qui saisit les colons engendre la terreur contre les esclaves: terreur illégale
exercée à titre privé par les maitres mais aussi terreur légalisée par la
création de juridictions spéciales puis pa l’instauration d’un impitoyable
dispositif administratif de répression.» Caroline Oudin-Bastide, L’effroi et la terreur. Esclavage, poison et sorcellerie aux Antilles, Paris,
La Découverte, 2013.
[14] Franck
Degoul, « Du passé faisons table d'hôte :
le mode d'entretien des zombis dans l'imaginaire haïtien et ses filiations
historiques », Ethnologies, vol. 28, n°1, 2006, p. 241-278.
[15] Ces
économies et politiques de confiscation ou d'expropriation ont trouvé leur
élaboration dans les différents codes ruraux élaborés pour gérer le corps
haïtien. Ils constituent le cadre juridique de gestion de la circulation, de la
liberté comprise comme capacité à se mouvoir, de la gestion du corps comme
instance biologique dune realité difficilement appropriable, le désir, dont
manipule par le manque ou la rareté.
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